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23 mai 2019 à Paris

Entretien avec / Interview with Laurent Cugny


Entretien préparé et réalisé par Joana Desplat-Roger et Thomas Horeau

 

Laurent Cugny © Christian Taillemite

Epistrophy : Ce numéro d’Epistrophy, intitulé « le jazz, la philosophie et les philosophes », propose une réflexion à partir du constat suivant : la philosophie n’a pas — ou alors, très peu — interrogé la question du jazz. Êtes-vous d’accord avec ce postulat de départ ? Et si oui, comment expliquez-vous que la philosophie se soit si peu intéressée au jazz ?

Laurent Cugny : Je n’ai pas réfléchi à cette question auparavant, mais — je pense à haute voix — on peut dire qu’elle n’est probablement pas dans la culture immédiate des philosophes. En revanche, c’est ce qui est étonnant, on peut faire ce constat y compris chez les philosophes ayant écrit sur la musique aux époques où le jazz existe déjà. Un grand nombre d’entre eux a abordé la musique à un moment donné de sa carrière, de façon plus ou moins développée, et en ce sens la musique apparaît bien comme un sujet philosophique. Mais de fait, il s’agit presque toujours d’interroger la musique savante. Bien sûr, avant l’existence du jazz la question ne se pose pas, mais au XXe siècle… on voit bien que ça n’entre pas dans la culture moyenne des philosophes, même s’il y a bien sûr des exceptions individuelles. C’est un premier constat. Il doit y avoir des raisons plus profondes, mais je n’en vois pas car le jazz est un objet aussi retors et tout aussi fécond que les autres : ce n’est pas une question idiote. À dire vrai je n’en sais pas plus, je n’ai jamais creusé cette réflexion.

Joana Desplat-Roger : Mon travail de recherche actuel me permet de formuler une première hypothèse à ce sujet : il est vrai qu’on trouve un grand nombre d’études philosophiques sur la musique savante, mais il existe aussi — et particulièrement ces dernières années — un nombre conséquent de travaux sur la musique populaire (je pense notamment aux ouvrages de Roger Pouivet [1] ou d’Agnès Gayraud [2]). En revanche, j’ai l’impression qu’il y a eu un phénomène de répartition entre ces deux camps : les philosophes qui s’intéressent à la musique savante, et celles et ceux qui travaillent sur la musique populaire. Or, comme le jazz ne peut être considéré ni comme une musique exclusivement savante, ni comme une musique exclusivement populaire, il semble ne pas avoir été pris en compte dans cette répartition. Il apparaît donc comme l’« oublié » d’un partage des tâches qui a été fait par devers lui…

LC : Oui, c’est vrai. C’est ainsi que j’ai construit le livre à venir dans lequel je fais un tour d’horizon des théories modernes de l’œuvre musicale. Il existe d’un côté un clivage entre philosophie analytique et philosophie contemporaine, de l’autre entre celles et ceux qui parlent exclusivement de musique d’écriture et celles et ceux qui s’attaquent aux autres régimes. Très peu, en effet, essaient d’englober la totalité des pratiques musicales. Dans le domaine musicologique, on constate aussi un déplacement de l’intérêt vers les musiques populaires au détriment du jazz. Force m’est de constater que j’ai moins d’étudiants qu’avant, et pourtant je n’enseigne pas à l’université depuis si longtemps… Il me paraît évident qu’il y a eu un phénomène de vases communicants au profit des musiques populaires (en particulier le pop-rock). De toute façon, tous ceux qui parlent de musique, parlent de leur goût — or, peu aiment le jazz. Je pense à Roger Pouivet, que j’ai eu l’occasion de rencontrer : lorsqu’il écrit sur le rock, il revient à son adolescence. Cela part toujours d’une motivation musicale, d’un goût particulier… Et statistiquement, le goût pour le jazz est moins répandu que celui pour le rock, y compris chez les philosophes.

JDR : Il y a quand même un contre-exemple : Gérard Genette. Il affirme clairement son goût pour le jazz, et il dit aussi qu’il est important de ne pas comparer le jazz et la musique classique de tradition savante, car les deux sont incomparables [3]. Mais en dépit de son amour pour cette musique, son argumentation le conduit à proposer une véritable dévalorisation ontologique du jazz, qu’il considère comme une musique autographique et régressive (contrairement à la musique d’écriture qui elle aurait atteint le stade allographique de l’art). Ou plus récemment, il y a aussi Francis Wolff, qui dans Pourquoi la musique ? [4], interroge la musique savante, tout en faisant une place à la musique populaire, ainsi qu’au jazz. Cependant, il suffit de regarder l’index musical à la fin de l’ouvrage pour se rendre compte du net déséquilibre en faveur des exemples musicaux issus de la tradition savante : la musique populaire et le jazz y jouent un rôle purement illustratif.

LC : Je pense que pour écrire sur le jazz, bien connaître son sujet est un prérequis indispensable. Je ne dis pas que Genette ne l’aimait pas, mais il écrit à une autre époque. Beaucoup en parlent avec une vision stéréotypée, une sorte d’intérêt intellectuel, mais au fond, leur discours ne repose sur aucune assise. Je le vois avec mes étudiants, c’est un vrai problème, car certains ne connaissent pas véritablement le jazz. C’est une musique qui se découvre en l’écoutant sur du long terme, on ne peut pas l’intérioriser autrement (comme toute musique d’ailleurs). C’est pourquoi je préfère les gens qui s’abstiennent d’en parler justement parce qu’ils savent qu’ils ne maîtrisent pas l’objet. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire : « tiens, Wagner ça à l’air sympa, je vais travailler dessus ! » Genette a en effet le mérite de ne pas oublier le jazz, mais il le réduit à l’improvisation (comme d’autres d’ailleurs), qui pose un problème aux modèles théoriques basés sur le modèle de la musique savante. On peut dire que c’est déjà quelque chose de positif. Je n’ai pas fait le calcul de la proportion des références, mais chez Francis Wolff, on sent une vraie culture musicale large, incluant pop, rock et jazz. Ce n’est pas anecdotique ou « en passant ».

Thomas Horeau : On peut peut-être commencer à élaborer une hypothèse, à savoir que c’est parce que le jazz pose des problèmes particuliers à l’analyse et à son appréhension philosophique que l’on peut commencer à définir cet objet, en identifiant les problèmes qu’il pose.

LC : Oui, d’ailleurs en tant que musicologue j’en passe par là moi aussi. Bien sûr, je fais la part des choses entre la réflexion philosophique et la réflexion musicologique — et il n’y a aucune raison de vouloir garder le jazz pour les musicologues qui ne sont pas plus propriétaires de l’objet que quiconque. Mais on voit parfois des erreurs musicologiques manifestes qui viennent encombrer les textes philosophiques, et lorsque je lis un philosophe (ou tout autre corporation d’ailleurs) parler de musique et surtout de jazz, je suis souvent dérangé par les malentendus ou les erreurs musicologiques qui font perdre au texte de sa crédibilité.

Epistrophy : Vous qui êtes musicien et musicologue, il semble que vous vous intéressez de plus en plus à la philosophie. C’était déjà un peu le cas dans Analyser le jazz [5], mais c’est encore plus évident dans Le musical tout court (un manuscrit inédit, à paraître en 2020). Ce recours à la philosophie vous semble-t-il nécessaire, et si oui pourquoi ?

LC : Je suis très sensible à l’expérience musicale, et en particulier à l’expérience extatique. Tous les musiciens que je connais parlent de ce moment précis, qui leur a fait prendre conscience qu’ils seraient musiciens, souvent en une seconde. Et on pourrait dire la même chose de tous les amoureux de musique lors de leur première émotion musicale forte.… C’est ce qui me fascine, ce moment d’accroche. Or, aujourd’hui, l’accent est plus souvent mis sur les aspects collectifs de cette expérience alors qu’elle a une dimension individuelle, d’intimité, qui me paraît irréductible. Au fond, je reste dans une conception un peu banale des choses : tout se finit toujours avec la philosophie, car elle permet d’accéder aux concepts fondamentaux. La philosophie m’apparaît comme la discipline ultime, à laquelle on finit par arriver, quel que soit le chemin. Mais elle reste un horizon lointain pour moi, j’en souffre car je ne peux pas aller au fond des choses, par manque de formation d’abord, et ensuite parce qu’on ne peut pas tout faire. J’ai déjà deux amours : l’histoire et l’analyse, qui m’accaparent. Les deux sont séparées chez moi, c’est comme une sorte de double schizophrénie, entre musique et musicologie d’une part, histoire et analyse de l’autre.

Enfin, on peut dire que j’en suis venu à l’ontologie — et donc à un certain secteur de la philosophie — suite à ma rencontre avec Vincenzo Caporaletti. Je me suis plongé dans l’audiotactilité, et à force d’expliquer ses concepts difficiles à mes étudiants, j’ai acquis la certitude que la question de l’œuvre est au centre du débat, que c’est le nœud de l’affaire. C’est donc quand on m’a demandé d’écrire sur l’audiotactilité que j’ai fini par franchir, certainement imprudemment, la ligne de la philosophie, par l’approche ontologique.

TH : Mais votre intérêt pour la philosophie était déjà présent avant : l’introduction d’Analyser le jazz était déjà fournie en références philosophiques…

LC : Oui, mais à cette époque c’étaient surtout des prétextes pour réfléchir… Il y avait même à l’origine quelques réflexions sur Roman Ingarden que j’ai dû retirer, car je ne maîtrisais pas assez la question. C’était seulement heuristique, pour réfléchir.

JDR : Dans vos écrits, il semble que vous ne cachez pas votre préférence pour le paradigme phénoménologique par rapport à celui porté par l’esthétique analytique. Vous expliquez cette préférence par le fait que la philosophie analytique procède à une « tabula rasa », contrairement à la phénoménologie, qui elle, s’inscrit dans une tradition philosophique. Pour autant, la phénoménologie permet-elle de penser le jazz dans sa spécificité ? J’avoue être un peu sceptique sur ce point, car il me semble que les perspectives analytiques de Gérard Genette, Roger Pouivet, Sandrine Darsel, Frédéric Bisson, ont au moins l’avantage de rendre compte du régime phonographique. Alors que la perspective phénoménologique reste complètement soumise au paradigme de la musique du régime d’écriture que vous qualifiez de « hautement prescriptive ». Qu’est-ce qui justifie votre préférence pour la phénoménologie ?

LC : C’est une façon, sans doute peu satisfaisante et réductrice j’en conviens, de marquer la différence avec l’approche analytique (au sens de la philosophie analytique) que je trouve toujours (en tout cas pour son application au jazz) trop préoccupée de logique et pas assez des choses dans le monde. Ce n’est pas une question d’abstraction — le raisonnement phénoménologique n’est pas moins abstrait que la philosophie logique, mais semble mieux prendre en compte notre relation au réel. En réalité, je me sens plus « continental » (versus analytique) que phénoménologique à proprement parler. Et au fond, ce qui m’intéresse vraiment c’est l’expérience, davantage encore que l’ontologie de l’œuvre. Que se passe-t-il vraiment quand on joue ? Que se passe-t-il vraiment quand on écoute et qu’on est fasciné ? Que se passe-t-il lorsqu’à dix ans j’écoute les Beatles et je me retrouve liquéfié ? Pour moi ces expériences sont spécifiques, c’est du musical brut. Et elles sont dans le monde. C’est ce qui m’intéresse.

JDR : En lisant vos écrits, il m’est venu une hypothèse qui expliquerait votre usage de la phénoménologie. Mon impression, c’est que le recours à la phénoménologie vous permet avant tout de poser une distinction entre essence et phénomène, ce qui vous permet aussi de dire que vous recherchez non pas l’essence du jazz, mais sa phénoménalité. C’est très clair par exemple dans ce passage d’Analyser le jazz  :

« S’il existe un “parapluie jazz”, c’est bien qu’un lien est reconnu entre ses différentes périodes, ses différents styles, ses différentes pratiques. Mais ce lien n’est pas nécessairement le produit ou le symptôme d’une essence qui se conserve d’une période à l’autre, d’un style à l’autre. Au contraire, on peut supposer que chaque nouvelle période, chaque nouveau style, chaque nouvelle pratique redéfinit ce lien dans son entier. On se place alors dans une vision du phénomène plutôt que dans celle d’une essence [6]. »

Il me semble donc que vous vous référez au phénomène dans son opposition à l’essence (je dirais qu’on est là dans une vision plus kantienne qu’husserlienne du terme de « phénoménologie »), ce qui vous permet aussi de contrer l’accusation d’essentialisme (ce « concept couperet » qui selon vous discrimine et interdit la démarche musicologique) :

« L’argument-choc, clé de voûte de ce culturalisme, est asséné à propos de la musique : l’essentialisme, véritable concept-couperet. La musique n’existerait pas en soi mais serait multiple, complexe, historicisée, culturelle, etc. Elle n’arrive pas de nulle part, ne se donne pas à entendre ici et là, simplement, de façon immédiate. Comme tout objet de production symbolique, celui-ci est socialement construit. Si l’on comprend l’argument — et si l’on peut légitimement l’accepter, mais aussi le discuter — force est de constater qu’il s’est transformé en arme absolue contre l’analyse d’abord, puis la musicologie elle-même, accusée de ne voir dans la musique que les notes, que les aspects syntaxiques et d’être incapable d’aller au-delà. Cette insistance farouche à vouloir rayer le niveau musical de la carte, à en faire disparaître les traces autant que faire se peut, ne laisse pas de surprendre (et d’inquiéter) [7]. »

Si j’ai raison, votre usage de la phénoménologie possède un enjeu davantage politique (défendre la musicologie contre l’accusation d’essentialisme) que philosophique. Qu’en pensez-vous ?

LC : En tant que musicologue, on est forcément dans le phénomène : on regarde comment tout cela fonctionne, on analyse… C’est dans le monde que tout cela se déploie. Et pour reprendre l’idée du « parapluie jazz » telle qu’on la trouve formulée chez Pierre Sauvanet [8], si le mot jazz a encore un sens, c’est bien parce qu’il existe une substance qui unit tout ça. Certes on ne peut pas la cerner directement : pour l’aborder il faut en passer par sa manifestation dans l’œuvre, et en ce sens c’est une approche phénoménologique. Donc oui, je considère qu’il existe bien une essence du jazz (que l’on peut aborder aussi par l’angle historique, la question de la tradition). Prenons l’exemple du swing : on peut toujours essayer de l’aborder par l’analyse, pour tenter de comprendre comment il se manifeste, aller voir de près l’histoire des croches égales ou pas égales… on reste alors dans une démarche analytique, dans la manifestation sonore. Mais dans le fond, on n’a toujours pas vraiment réussi à aller dans le cœur du sujet. L’utilité de l’analyse permet de décrire le swing, mais elle a une limite : on ne peut pas dire ce qu’il est véritablement, c’est-à-dire qu’on ne peut pas le quantifier ou le paramétrer par des moyens analytiques. Pourtant, il y a bien là une chose purement jazz. C’est aussi ce qui m’a plu chez Vincenzo Caporaletti : il essaie de penser la formativité propre au jazz, qui rassemble plusieurs éléments, idiomatiques ou non, mais ce qu’il entend par là ressemble fortement à une essence.

JDR : Ce qui est étonnant dans vos propos, c’est qu’on sent à la fois une réelle fascination pour la phénoménologie, et en même temps, ce que vous dites là se rapporte plutôt à de l’idéalisme. Or ces deux approches me semblent plutôt contradictoires !

LC : Je ne sais pas, je n’ai pas les outils philosophiques pour discuter de ça sérieusement. En tout cas, je ne cherche pas à me positionner. C’est d’ailleurs aussi pour ça que je ne comprends pas qu’on puisse me taxer d’essentialisme.

JDR : Pourquoi parlez-vous d’« essentialisme » ici ? J’ai plutôt l’impression qu’on pourrait vous taxer de « formaliste ». Ce qui en soi n’est pas nécessairement accusatoire, car le formalisme vous permet seulement de vous situer dans une tradition (celle d’Hanslick, notamment).

LC : Je dis « essentialiste », parce que c’est le terme que tout le monde emploie. Et à l’origine de tout ça, à mon sens, on trouve la question du racisme. La posture anti-raciste dénonce avec raison l’argument de type essentialiste qui consiste à attribuer un trait de caractère en fonction de l’appartenance d’un individu à tel ou tel groupe. Mais il y a eu une extension extraordinaire de cette idée, juste dans son application première qui fait que, au moindre désaccord, on est taxé d’essentialisme simplement parce qu’on prononce le verbe « être ». Cet usage de l’essentialisme est rhétorique, et selon moi il sert à clore un débat. Et il provient d’une dérive de la critique de l’essentialisme raciste ou sexiste. Quant au formalisme, non je ne crois pas que mes positions soient formalistes. Si être formaliste c’est croire à un niveau proprement musical, alors oui si l’on veut, mais ça n’a pas beaucoup de sens pour moi. Le véritable formalisme consiste à tout miser sur la matière et son organisation. Ce n’est pas mon cas.

TH : Ce terme d’essentialisme est aussi lié à l’histoire du racisme qui est passé d’un racisme proprement essentialiste, à un racisme davantage lié à la culture. On ne dit plus : les Noirs sont inférieurs, mais les Noirs, en banlieue, jettent leurs poubelles par la fenêtre. C’est devenu un fait culturel maintenant, et c’est là une évolution du racisme.

JDR : Certes, mais j’ai l’impression que cette discussion sur l’essentialisme repose sur une confusion terminologique. Le terme d’essentialisme me semble plutôt renvoyer à la question largement discutée au sein des cultural studies concernant l’essence de la « Great Black Music » : la position essentialiste est notamment critiquée par Philip Tagg dans sa « Lettre ouverte sur les musiques “noires”, “afro-américaines” et “européennes” [9] », en tant qu’elle réduit la musique à la couleur de la peau du musicien qui la joue. À ce titre, le simple fait de parler de « musique noire » est une position que l’on peut considérer comme essentialiste. Mais vous, Laurent Cugny, vous dites tout autre chose : vous affirmez que c’est la musicologie en tant que science qui est caractérisée comme « essentialiste ». C’est ça que je ne comprends pas : la musicologie peut être considérée comme formaliste, mais, à mon avis, cela n’a pas grand-chose à voir avec ce que désigne l’essentialisme !

TH : Certes, mais Philip Tagg critique bien certains musicologues, justement parce qu’ils accolent une couleur de peau à une musique.

LC : Mais Philip Tagg a tort. Ce n’est pas parce qu’on trouve un musicien blanc qui joue du blues que, ipso facto, le blues n’est pas une musique noire. C’est encore un biais d’un certain positivisme logique. Pour moi, c’est une évidence qu’il existe des musiques noires. Le blues est une musique noire, faite à 99% par les Noirs et ce n’est pas parce qu’il y a un Blanc qui le chante plutôt bien (ou joue bien de la guitare comme Eric Clapton ou Stevie Ray Vaughan) que l’assertion tombe. Le blues est une musique noire, tout comme la soul, le rhythm’n’blues… Par contre, je considère que le jazz n’est pas une musique noire, du moins pas complètement, comme on peut le dire du blues ou du rhythm’n’blues. Cette musique a certes un lien originaire avec l’histoire des Afro-Américains, et ce lien lui est sans aucun doute substantiel, mais cette appropriation exclusive qui est souvent faite depuis Amiri Baraka et que perpétuent des auteurs d’aujourd’hui comme Fumi Okiji pose un problème politique, car le jazz n’est pas qu’une musique noire. Pour le blues, c’est beaucoup plus simple que pour le jazz. Car le blues est vraiment le produit d’un moment historique, de la fin de l’esclavage, de l’industrialisation, de la prolétarisation… Et pour clore sur cette question de l’essentialisme, je pense que la confusion terminologique est plutôt avec le naturalisme.

JDR : Dans tous vos écrits, vous réaffirmez la nécessité de poser une définition comme condition d’un discours rigoureux sur le jazz. Dans Analyser le jazz, vous proposez des traits idiomatiques caractéristiques du jazz [10]. Si je comprends parfaitement cette exigence définitionnelle musicologique, de mon côté je suis gênée par la possibilité même d’élaborer une définition proprement philosophique du jazz. Car en faisant cela, il me semble que la philosophie adopterait une position de surplomb à l’égard d’un objet qu’elle appréhende toujours de très (trop) loin. J’ai donc l’impression que ce n’est pas à la philosophie de déterminer ce que doit être / ne pas être le jazz. Qu’en pensez-vous ? Et si vous pensez qu’il est possible de produire une définition philosophique du jazz, à quoi pourrait-elle ressembler ?

LC : Les discours sur le jazz qui consistent à dire que la définition est une étiquette réductrice faite pour exclure me rebutent. J’ai envie de pouvoir définir, sans être accusé d’exclure qui que ce soit (et d’être essentialiste). Ma perspective est de comprendre comment fonctionne le jazz et finalement de savoir ce que c’est que le jazz, alors bien sûr que la définition participe de ça, même si les résultats ne sont jamais satisfaisants. Là encore, c’est une façon de réfléchir. On peut tout à fait donner une définition qui ne soit pas autoritaire. Lorsque j’enseigne à mes étudiants de L3, il faut bien que je leur explique ce qu’est le jazz, et comme ils ne connaissent pas bien cet objet, je dois bien pouvoir en dire quelque chose… Je ne pourrais pas me contenter de leur dire qu’il est impossible de savoir ce que c’est. D’ailleurs, je m’en sors en leur disant, par exemple, qu’il est certain que Count Basie c’est du jazz et que Pierre Boulez n’en est pas ; et que Ray Charles se trouve quelque part à la lisière. J’utilise souvent la métaphore des planètes gazeuses : le cœur de la planète, la surface, l’atmosphère, les satellites et les autres musiques à des années-lumière de distance… Ma définition repose sur quelques critères qui sont certes critiquables, mais utiles en musicologie. Nous ne sommes pas entièrement démunis. Par contre, une définition philosophique, c’est sans doute plus aléatoire et en effet, je ne vois pas ce que ce ça pourrait être. Mais ce n’est peut-être pas utopique ?

JDR : Une définition philosophie du jazz me semble au moins difficile à élaborer, car comme le dit François Zourabichvili [11], le philosophe se retrouve toujours devant « l’art accompli », et en ce sens qu’il arrive toujours déjà trop tard… Que peut-on dire sur le jazz en tant que philosophe ? Le philosophe ne peut pas intervenir comme un arbitre, pour déterminer ce qui est du jazz et ce qui n’en est pas. Cette position pose la question de la position de la philosophie à l’égard de ce qu’elle essaie de penser : lorsqu’elle impose des concepts esthétiques déjà tout prêts, fatalement elle se met à exclure certaines pratiques artistiques en tant qu’elles ne correspondent pas à ces critères prédéfinis ! Je pense que le philosophe doit savoir rester à sa place : nous sommes entourés de musiciens qui font cette musique, de musicologues qui la décrivent, et il nous faut partir de là. Alors voilà ma difficulté : je suis — au moins en partie — convaincue par ce que vous dites concernant la nécessité d’une définition pour pouvoir tenir un discours rigoureux sur le jazz. Mais en même temps, je me refuse, en tant que « philosophe », de produire une définition du jazz — même si je passe mon temps à critiquer celles produites par les autres !

LC : Je crois que je prendrais le problème dans l’autre sens. Et une fois encore, de manière réactive, à la façon dont Hugues Panassié prétend par exemple lui aussi déterminer ce qui n’est pas du jazz. Les décrets, chez lui, sont absurdes. Pour définir son jazz à lui, il met en œuvre toute une mécanique intellectuelle entièrement délirante, il change d’avis constamment, se contredit. C’est ce qui a beaucoup marqué toute une génération de critiques de jazz qui, en plus d’être passé par mai 68, ne veut plus entendre parler de définition du jazz à cause de cette dérive délirante. Jouir sans entraves, voilà ce qui sous-tend souvent le refus de toute définition. Toutes les musiques sont dignes d’intérêt (paradigme postmoderne) et nul besoin de les séparer. Mais la bête résiste, elle ne se dissout pas dans la dispersion. Le jazz existe toujours alors qu’il aurait pu disparaître. Il est toujours là dans l’évidence des musiciens, des enregistrements, des clubs, des concerts. Pas très en forme sur certains plans et très vigoureux sur d’autres, mais il existe bel et bien et le mot « jazz » est toujours utilisé. Ce point est très important pour moi. Ce n’est pas comme un style, comme le disco ou le bebop qui finissent par céder la place. Il reste un raisonnement par l’absurde : si on ne sait pas ce qu’est le jazz, on sait ce que ce n’est pas (et le jazz serait ce qui reste). Enfin, il y a aussi une autre solution peu satisfaisante, qui consisterait à établir la « jazz attitude ».

JDR : Qu’entendez-vous par « jazz attitude » ?

LC : En réalité je suis plutôt critique avec ce concept, mais je peux tenter de l’expliquer (Roger Pouivet en parle à propos du rock, de la « rock attitude »). Si on prend l’exemple de Count Basie lorsqu’il joue en 1938 avec Lester Young, on voit que toutes les cases sont cochées : tous les critères y sont pour pouvoir dire que c’est du jazz. C’est même le cœur du jazz. Mais aussi quand ils jouent, il se dégage quelque chose — et ce quelque chose dépasse les données techniques. On pourrait donc dire que c’est la « jazz attitude » : ils sont cool. C’est-à-dire que, pour des Afro-Américains en 1938, ils ont une vision du monde plutôt cool, ils sont capables de dépasser la ségrégation, de prendre une distance et tout ça passe dans leur musique. D’autres sont en colère (Mingus), mais la résultante dessine ce que l’on peut appeler une attitude.

JDR : Je comprends à peu près ce que vous voulez dire, mais pour le coup, je trouve ce terme extrêmement vague… ! D’ailleurs, à mon sens, c’est justement ici que se joue le rôle du philosophe : son rôle n’est pas de définir le jazz à la place des musiciens et de musicologues, mais bien plutôt de leur demander des éclaircissements sur les termes qu’ils utilisent, qui ne sont pas toujours clairs même lorsqu’ils prétendent l’être.

TH : La jazz attitude a notamment été décrite par les hipsters, par Dizzy Gillespie qui définit ce qu’est un « mec cool » dans sa biographie. Tolérance, autonomie, absence de préjugés… : disant cela il ne parle pas de musique, mais la musique pourrait refléter ces valeurs-là. Et là ça devient compliqué de faire le lien entre ce type de valeurs et un contenu musical.

LC : Oui, c’est ça. Ce serait une attitude vis-à-vis du monde en général, voire une vision du monde. Beaucoup de gens le pensent. Le gros problème de tout ça, à mon avis, c’est la métaphore. Cette idée par exemple que l’improvisation collective serait une métaphore de la démocratie directe. On entend beaucoup cela aujourd’hui (surtout à propos de l’improvisation d’ailleurs, pas forcément du jazz lui-même). C’est une variante du cliché du jazz-liberté : le jazz c’est la liberté, puisque l’on peut jouer ce que l’on veut. Ce genre de choses ne fonctionne pas pour moi. Il faut absolument questionner le statut de la métaphore. On peut tout à fait avoir un programme qui va dans ce sens, qui porte des valeurs spécifiques et qui défend le fait que le jeu collectif doit être la métaphore de la démocratie. Mais l’improvisation dans un groupe sans leader n’est pas en soi une expérience de la démocratie directe dans la musique. Ce peut être le lieu des pires rapports humains de domination autant que dans toute autre musique.

Ce que j’aime dans la « formativité » (de Luigi Pareyson, reprise par Vincenzo Caporaletti), c’est justement que c’est une notion à cheval entre les deux. C’est une façon de faire de la musique, qui inclut toute la dimension idiomatique, les techniques, mais aussi d’autres choses qui n’ont pas trait à la technique. Par exemple : qu’est-ce que « l’écoute » ? On en parle tout le temps dans le jazz, de l’écoute. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Voilà un élément qui entre dans un ensemble que je suis prêt à appeler la formativité. Et dans ce sens, c’est bien une « jazz attitude », non pas au sens de savoir si on est « cool » avec une vision du monde « cool » ou en colère vis-à-vis du racisme et de la ségrégation, mais au sens technique et au sens d’une façon d’être. Écouter c’est une façon d’être, je ne suis pas sûr par exemple que dans le rock on s’écoute de la même façon que dans le jazz.

JDR : C’est intéressant car c’est exactement ce dont témoigne Rodolphe Burger dans l’entretien que nous avons mené ensemble. Il dit que c’est justement cette expérience d’écoute venant du jazz et des musiques improvisées qui lui a manquée dans une certaine pratique du rock, et qu’il a tenté d’instaurer avec son groupe Kat Onoma, qui rassemblait plusieurs musiciens issus de la musique improvisée libre. Et bien que ce soit clairement un groupe de rock, tous cherchaient à reproduire dans le rock cette expérience de l’écoute typique du jazz.

LC : Une autre notion concerne la formativité du jazz : celle de style. Ce sont des éléments qui dépassent la technique. Et en mettant tout ça bout à bout, on s’approche à mon avis d’une définition d’où les philosophes doivent pouvoir tirer des fils.

JDR : Revenons maintenant sur la notion d’« œuvre musicale », que vous avez rapidement évoquée au début de cet entretien. De mon point de vue, le travail de Lydia Goehr dans son ouvrage Le musée imaginaire des œuvres musicales [12] est décisif pour penser le jazz, et plus particulièrement son rapport à la notion d’œuvre. Lydia Goehr défend ce qu’elle appelle une « ontologie historique », c’est-à-dire qu’elle considère que les concepts (et notamment celui d’œuvre) doivent être compris dans leur contextualité historique. Ainsi, elle montre que le sens originel de « l’œuvre » désigne le devenir autonome de l’objet d’art à partir de 1800, qui devient un objet soumis aux copyrights/droit d’auteur (ou encore une « œuvre de musée métaphorique »). Dès lors, on voit bien que la notion originelle d’œuvre musicale ne peut désigner qu’une musique soumise au régime d’écriture, puisqu’elle décrit un objet délimité et unique qui doit pouvoir trouver différentes exécutions exactes, c’est-à-dire conformes à l’œuvre originale. Une fois qu’on a dit ça, il me semble difficile (et d’ailleurs, inutile) de vouloir faire du jazz une « œuvre », car la pratique du jazz ne consiste pas à rejouer de manière fidèle l’« œuvre » originelle en tant qu’elle aurait une valeur intrinsèque en elle-même, à laquelle se rapporterait l’ensemble des différentes performances scéniques (les live) des musiciens. Or, Lydia Goehr va plus loin encore, en montrant que notre tendance à considérer la notion d’œuvre comme un concept universel (c’est-à-dire en dehors de cette contextualisation historique) revient à plier toutes les productions musicales sous le concept générique d’œuvre, et donc à gommer les différences entre les pratiques musicales. Je sais que vous connaissez assez bien les ouvrages de Lydia Goehr, mais en même temps vous ne semblez ne pas vouloir renoncer à la notion d’« œuvre » pour penser le jazz : pourquoi ? Est-ce une manière de garantir la légitimité institutionnelle du jazz, ou bien y a-t-il d’autres raisons d’ordre philosophiques ?

LC : Sur ce point il me semble que nous sommes en désaccord. Lydia Goehr fait une histoire des idées : elle montre que le concept d’œuvre a longtemps été pensé comme un absolu, alors qu’en réalité il s’agit d’un concept récent, apparu dans un contexte particulier. C’est brillamment expliqué, mais pour moi ce n’est pas une révélation. Je savais très bien avant de lire son livre que l’œuvre était un concept relatif (d’autres auteurs l’ont dit avant elle, Jacques Chailley par exemple). Pour autant, je ne suis pas d’accord avec le fait de dire que le jazz ne veut pas « faire œuvre », et donc qu’il faudrait l’y contraindre. Je pense qu’il y a une nécessité de faire œuvre, y compris pour le jazz, qui a rencontré pour ça le moyen de la phonographie. Plus concrètement, qui peut dire que Kind of Blue ou A Love Supreme ne sont pas des œuvres ? Dans cette conception, l’œuvre est une entité identifiée, close dans son périmètre (ce qui permet de dire que Kind of Blue n’est pas A Love Supreme) mais ouverte par sa diffusion et sa réception. Le deuxième critère est la persistance : tant qu’il y restera au moins un exemplaire de chacun des deux disques, on pourra en parler. Le fait que les œuvres relèvent d’un régime ou d’un autre — écriture, oralité, phonographie (ou audiotactilité comme je l’appelle maintenant) ou improvisation — ne change rien à ces faits. Ce sont des modalités d’œuvre différentes, mais les œuvres sont là, devant nous. Nous vivons au milieu d’elles (on peut même dire d’une certaine façon que ce sont elles qui nous font vivre). Cela me paraît incontestable.

JDR : Alors, comment caractérisez-vous l’« œuvre phonographique » ?

LC : On vit au milieu d’œuvres musicales, qui ne sont pas toutes consignées sur une partition. Tous les disques que j’ai autour de moi sont des œuvres. La phonographie a permis ça : c’est pourquoi on peut dire que sans la phonographie, il n’y aurait pas de jazz, tout simplement. Le destin du jazz, c’est l’œuvre. C’est même sans doute le destin de toutes les musiques. Peut-être que les Pygmées se fichent d’enregistrer ou de noter leur musique pour qu’elle reste, c’est même probable — laissons cette question de côté (l’intention d’œuvre) pour l’instant. Mais il ne peut y avoir d’erreur de jugement à dire que Kind of Blue est une œuvre. A Love Supreme l’est aussi. Et on sait bien que ce sont deux œuvres différentes, circonscrites dans l’espace et le temps. Il y a un destin d’œuvre dans le jazz, je le crois profondément. Heureusement que la phonographie est arrivée sinon ça n’aurait pas pu marcher, car son destin d’œuvre n’aurait pas pu s’accomplir par la partition, ni par une oralité pure.

JDR : En effet, je ne suis pas d’accord avec vous sur ce point. Lydia Goehr montre que la notion d’œuvre repose sur un grand nombre d’implicites qui permettent de valoriser une certaine pratique musicale, au détriment d’autres pratiques possibles. Par exemple, elle explique que l’œuvre repose sur un principe de « synonymie effective entre la Werktreue et la Texttreue », par laquelle « être fidèle à une œuvre, c’est être fidèle à son texte [13] ». Dit comme ça cela n’a l’air de rien, mais en réalité c’est très important : cela suppose que les exécutions de l’œuvre doivent toujours se référer, dans un principe de fidélité, à l’original. Dans la musique classique, on a bien compris que c’était la partition qui faisait œuvre, auxquelles les exécutants doivent se référer fidèlement. Je crois qu’on ne peut pas aussi facilement supposer que le disque puisse jouer un rôle similaire, car le disque n’a pas le même statut : il ne constitue pas le geste de création inaugural, à partir duquel sont génétiquement déduites les performances (les exécutions) live. C’est pourtant bien cette idée que défend Roger Pouivet par sa conception de « l’œuvre phonographique », mais cette conception le conduit à instaurer une différence d’essence entre l’enregistrement studio et l’enregistrement-live : il déclare que seul l’enregistrement-studio peut, par définition, faire œuvre, alors que l’enregistrement-live n’est qu’un « artefact-enregistrement », un simple « document » archivant des prestations « embaumées » [14]. Cela me semble n’avoir aucun sens dans le cas du jazz, car il est évident que certains albums-live sont tout aussi importants dans l’histoire du jazz que les albums-studios (ainsi par exemple les albums Agharta et Pangaea, ces deux albums live enregistrés lors de l’ultime tournée de Miles Davis au Japon en 1975 : je ne comprendrais pas qu’on leur attribue un statut de moindre importance sous-prétexte qu’ils sont des albums live).

Mais ce n’est pas tout, à mon sens la notion d’œuvre phonographique pose beaucoup d’autres problèmes : d’abord cela minimise la dimension performative du jazz, qui me semble pourtant essentielle (bien plus encore que dans le rock !). Les musiciens de jazz lorsqu’ils jouent ne se réfèrent pas à leur enregistrement comme à un « original », ils ne conçoivent pas leur prestation comme « génétiquement déduite » de leur album. Et comme le dit avec humour Lee B. Brown, en parlant d’œuvre phonographique, notre « compréhension et notre appréciation de la musique improvisée live semblent être inextricablement liée à notre compréhension et notre appréciation de sa version “en boite” [15] ». Je pense qu’il a raison : dit comme ça on perçoit tout de suite la dimension problématique de la notion d’« œuvre phonographique » !

Enfin, Lydia Goehr met en évidence l’impact du modèle de l’œuvre sur notre manière d’écouter la musique en général. Elle montre en effet, que « l’œuvre » musicale s’écoute d’une certaine manière : on écoute une œuvre musicale comme on va voir une œuvre d’art au musée, c’est-à-dire de manière silencieuse et révérencieuse… Or, il me semble qu’on ne peut pas réduire l’ensemble du jazz à ce type d’écoute : c’est vrai qu’un certain jazz s’écoute en silence dans des salles de concert prestigieuses, mais le jazz s’écoute aussi de manière bruyante et enthousiaste dans certains clubs de jazz historiques. Et je suis persuadée que les musiciens de jazz connaissent tous ces deux types de public, ces deux modes d’écoute, qu’ils sont capables de s’adapter aux deux. Et je suis sûre aussi qu’ils ne considèrent pas l’un comme « moins » jazz que l’autre ! C’est là pour moi le problème avec la notion d’œuvre : celle-ci ne retient qu’une certaine pratique du jazz (cette même partie qui a rejoint l’ensemble de la musique savante), mais elle minore aussi d’autres types pratiques qui existent toujours aujourd’hui. À la Nouvelle-Orléans, le jazz se joue encore dans la rue.

LC : Sans doute, mais c’est un phénomène somme toute très marginal. Pourquoi pensez-vous qu’on continue à faire des disques, qu’on paye même pour les sortir alors que ça ne rapporte plus d’argent ? Parce qu’il faut faire une œuvre. C’est une nécessité que ressentent, je crois, tous les musiciens. C’est bien de jouer devant un public, c’est nécessaire aussi, mais une fois le concert ou le set terminé, c’est fini, ça n’existe plus. Derek Bailey dit qu’il ne faut pas enregistrer la musique improvisée car il ne veut pas faire œuvre, et dit même qu’il ne faut pas faire œuvre. Ce qui compte, c’est l’événement. Ce n’est pas un objet, c’est un acte et il faut avoir été présent quand il s’est déployé. L’enregistrement gèlerait ça. D’accord, mais… il a signé lui-même 50 disques ! Il y a quand même une contradiction. Tout le monde ou presque veut fixer. Et pour revenir à Lydia Goehr, si elle pense ce que vous dites, c’est qu’elle a déjà intériorisé l’idée que l’œuvre ne peut être que d’écriture. Cela devient un raisonnement circulaire. Il suffit de faire un pas de côté et le problème ne se pose plus. C’est ce que j’essaie de montrer dans le livre à venir.

TH : D’autant que ça a une importance particulière pour la plupart de ceux qui font du jazz que d’avancer par un geste d’écriture, même si par « écriture » ici il ne s’agit pas de fixer sur une partition. Disque après disque, les musiciens construisent un parcours, une approche. Par exemple, chez Mingus, c’est très clair, ou même chez Ellington. Ce qui ne les empêchait pas de jouer tous les soirs dans des clubs… L’enregistrement est peut-être plus nécessaire en jazz qu’ailleurs, car il s’agit d’un jeu qui peut se poursuivre indéfiniment : il arrive donc un moment où il faut se poser pour pouvoir fixer les choses. En ce sens, je crois aussi qu’il existe un destin d’œuvre, en effet.

LC : C’est plus que ça encore. La phonographie structure entièrement le jazz, de A à Z. Tout le monde pense en termes de disques. C’est consubstantiel. On ne peut pas développer la musique sans le disque. Arrive le moment de fixer l’œuvre. Et ça permet aussi de se réécouter, de modifier son approche.

JDR : Oui, mais rassurez-vous : je suis absolument d’accord pour dire que le disque est essentiel dans l’histoire du jazz ! Je ne veux surtout pas donner l’impression de minorer son importance. Je voulais simplement insister sur le fait que l’histoire du jazz est d’autant plus complexe qu’elle rassemble des pratiques et des écoutes diverses, qui sont sans commune mesure les unes avec les autres, mais qui sont toutes, malgré tout, du jazz. C’est ça qui est fascinant ! Et je crois vraiment que certains musiciens ne ressentent pas comme une nécessité le fait d’enregistrer (à la Nouvelle-Orléans ils n’enregistrent pas beaucoup, ou alors ils considèrent souvent ces enregistrements comme ratés, car ils sont « surproduits »… Et on y perd la magie du live. Alors oui, ils le font souvent quand même, mais plus par nécessité économique : il s’agit de faire une maquette pour pouvoir présenter son travail et trouver des gigs, plus que de faire œuvre).

LC : Oui, je comprends bien, mais je ne vois pas en quoi vous pouvez raccrocher ça à la question de l’œuvre…

JDR : Parce que l’œuvre ne retient qu’une seule forme de ces pratiques comme « canon » de ce qui doit être reconnu par l’institution… Et d’une certaine manière, je pense que cela a normalisé la pratique du jazz, notre manière de l’écouter, et notre manière de l’enseigner dans les conservatoires, etc.

LC : Il me semble que c’est plutôt l’inverse. Si je vous comprends bien, vous semblez dire que l’« œuvre-jazz » ne serait au fond qu’un énorme malentendu. Je ne crois pas que ce soit viable parce que l’histoire du jazz est l’histoire de la phonographie. L’idée que le jazz ait pu devenir œuvre en étant forcée par l’extérieur, ou bien par un biais idéologique me paraît étrange. En fait, je crois que c’est plutôt la notion de « chef-d’œuvre » qui a brouillé les cartes car elle est en effet attachée à une pratique ancienne de la musicologie (plutôt de la musicographie), ce qu’on appelle « le canon ». Mais je dirais qu’il suffit de détacher les deux, œuvre et chef-d’œuvre. L’œuvre n’est pas par essence destinée à entrer directement au musée. On peut très bien l’utiliser comme un concept neutre. C’est plus prosaïque que la connotation qui a fini par s’y attacher. C’est une chose, ni plus ni moins. Cette chose, Lydia Goehr l’a arrimée à la pratique d’écriture. Mais il suffit de la désarrimer et soudain on voit les choses tout autrement.

TH : N’oublions pas que ce concept d’œuvre a lui aussi évolué. Peut-être qu’à partir du XXe siècle, la notion d’œuvre a été amenée à évoluer, en intégrant le disque.

JDR : Bien sûr que le concept d’œuvre a évolué, mais Lydia Goehr montre que les concepts ne sont pas neutres, et leur usage non plus. Le concept d’œuvre est normalisant. C’est-à-dire qu’il nous conduit toujours — sans qu’on s’en rende compte — à exclure des pratiques musicales qui ne cherchent pas à répondre du canon de l’œuvre. Et à partir de là, il ne reste qu’un pas à franchir avant d’affirmer que toutes les pratiques musicales doivent faire œuvre pour être considérées comme de la musique.

LC : Ce qui nous sépare, je pense, c’est quand vous dites « normaliser ». D’une certaine manière, vous êtes en train de postuler qu’il y a une réalité avant et qu’une autre réalité est là ensuite, pour la documenter, mais en la dévoyant, en la transformant. Je dis l’inverse, la musique (en tout cas les musiques dont nous parlons ici) n’existe pas entièrement tant qu’elle n’a pas été enregistrée. Ce n’est pas une chose plaquée qui déforme la musique, mais c’est inhérent au processus même de production de la musique. Bien sûr que je peux aller jouer avec mes amis dans un coin et que personne ne nous écoute, mais le jazz a d’autres visées, ça va plus loin que ça. Ce n’est pas juste le plaisir de jouer ; il y a une ambition. Sinon, il n’y a pas de développement. On joue pour un projet global qui inclut l’enregistrement. La finalité n’est pas de faire des disques, c’est de faire de la musique bien sûr, mais cette musique-là passe par les disques, c’est ce qui définit son régime de production.

JDR : Passons maintenant à une autre question : comment vous situez-vous aujourd’hui à l’égard de ce que vous appelez le « culturalisme » ? La lecture de votre article « À propos d’une dérive culturaliste dans les études jazzistiques » m’a beaucoup intéressée, car on comprend mieux qu’il s’agit pour vous de défendre l’approche musicologique, qui vous semble attaquée par le culturalisme — tant du point de vue de la méthode qu’elle défend, que de l’idée qui la sous-tend, à savoir revenir au « musical tout court », trouver, « dans ce qui se présente à nous comme musique […] ce qui est irréductible à autre chose qu’elle-même [16]. » D’une certaine façon, on comprend que la virulence de cette polémique (notamment avec LeRoi Jones, que vous citez) vient du fait que chacune des disciplines « concurrentes » se sent devoir défendre son simple droit à l’existence. Mais dans cet article, vous dites aussi que vous souhaitez faire droit aux différentes approches du jazz, y compris les culturalistes (même si ce n’est pas votre angle d’approche privilégié). Où en êtes-vous aujourd’hui ? Le culturalisme est-il selon vous toujours une position à combattre, en tant qu’elle menacerait la musicologie ? Ou bien seulement un champ « autre », une approche différente qui vous intéresse peu, mais qui au fond ne vous dérange pas tant que ça ?

LC : Ça, c’est un problème politique. Académico-politique. Au niveau académique un discours est très établi, surtout dans l’anglosphère mais en France aussi : en simplifiant, le jazz est la propriété des Afro-Américains car c’est un produit de leur culture, par conséquent il est du domaine des culturalistes et non de celui des musicologues… Je n’ai pas changé d’opinion de ce point de vue et le livre récent de Fumi Okiji [17] ne m’incite pas à le faire. J’appellerais ça volontiers un révisionnisme : il faut occulter une bonne moitié du jazz pour que ça tienne debout. C’est une lutte, car il y a de l’enjeu. Les États-Unis n’en ont pas fini avec l’esclavage, il y a une résonnance infinie presque deux siècles après. Il y a là des enjeux de propriété mémorielle qui sont très forts et qui dépassent largement la musique. Ce que je crois, c’est que la communauté afro-américaine est dans une réelle détresse, parce qu’il y a toujours de la ségrégation, malgré quelques progrès. Et cette communauté est aujourd’hui dépassée, notamment par les Latinos — qui, eux, ont subi la Conquête et l’Inquisition mais c’était il y a quatre ou cinq siècles. La société étatsunienne ne se résume plus à un face à face entre Blancs et Noirs. De plus, il y a eu un président noir, et finalement la situation est toujours sensiblement la même. Et ça joue psychologiquement (je crois dans cette mesure à la psychologie sociale), ça résonne y compris dans des textes sur le jazz. Le jazz est une bouée : si les Afro-Américains la lâchent, ils perdent beaucoup.

JDR : Cependant les ouvrages de LeRoi Jones [18], ou encore ceux de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli [19], même s’ils sont critiquables à certains niveaux (et d’ailleurs ils sont critiqués !), m’apparaissent comme une étape nécessaire dans la réflexion sur l’histoire du jazz. Ils ont été écrits dans un contexte historique précis, et en cela ils constituent, à mes yeux, des marqueurs importants.

LC : Oui, bien sûr que c’est important. Adorno, Amiri Baraka, c’est important et c’était nécessaire, indispensable même. Mais ce n’est pas encore décanté. Je pense qu’un jour on pourra revenir sur LeRoi Jones / Amiri Baraka, comme on revient sur Adorno aujourd’hui. Les polémiques vont s’apaiser. Mais pour l’instant les discours sont tellement réducteurs et orientés… Cette vision voudrait résumer tout le jazz, alors que Bix Beiderbecke, Benny Goodman et Brad Mehldau, mais aussi le Miles Davis électrique par exemple (je l’ai entendu de mes propres oreilles dans un colloque à Saint-Louis en 1996), ne peuvent rentrer dans ce schéma. C’est tout de même cher payé. Et ce sont aussi les années soixante, pour ces intellectuels (je pense là plutôt à Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, aux Européens en général) il y a une fascination certaine pour Che Guevara, Fidel Castro, la Chine, un horizon révolutionnaire qui s’impose à beaucoup de monde à cette époque… Il faut bien remettre tout ça dans le contexte. Ils étaient convaincus qu’il restait au plus une dizaine d’années avant le Grand Soir, que tout allait exploser.

JDR : Je dois dire que vous trouve trop sévère avec le « culturalisme » en général, ce qui ne m’empêche pas de comprendre votre défense du droit à la musicologie, à l’approche formelle du musicale. Cela me semble important, l’analyse — même si moi, qui ne suis pas musicologue, je n’en fais pas.

LC : C’est un peu plus que ça, c’est surtout que l’analyse permet de dire des choses sur le jazz qu’aucun autre domaine ne permet de dire. Je ne défends pas un pré carré, mais on peut voir quand même une forme d’impérialisme dans la domination de l’académie étatsunienne. Pour ne citer qu’un aspect, sur le plan académique, cette super-puissance ne parle qu’anglais et ne traduit rien des autres langues. C’est une manifestation de cet impérialisme que j’évoque. Il y a toujours eu concurrence entre les disciplines, parfois féroces. Je ne pense pas exagérer en disant que ce que j’appelle de façon réductrice « le culturalisme », c’est-à-dire tout ce mouvement d’anthropologie culturelle dans sa variante issue des cultural studies, manifeste une volonté hégémonique — même si, évidemment, elle s’en défend. Elle est le produit d’une histoire étatsunienne, à la fois économique (domination économique), culturelle (résonance de l’esclavage) et intellectuelle : les étatsuniens n’ont pas la même culture intellectuelle et philosophique justement. Nelson Goodman par exemple ne fait pas mystère de son peu d’intérêt pour la tradition européenne de la philosophie esthétique. Et si Gérard Genette cite abondamment Goodman dans ses travaux, les épigones de Goodman ne parlent jamais de Genette. Probablement parce qu’ils ne savent même pas qu’il existe.

En ce qui concerne l’analyse musicale — qui est tout de même un micro-domaine — ou même la musicologie en général, je ne crois pas que ce soit le cas. Nous savons parfaitement que la musicologie ne peut pas tout dire sur la musique et encore moins l’analyse. Et ce n’est pas si compliqué d’en appeler à une coexistence des approches. On n’est pas obligé de vouloir dévorer les autres. Dans le domaine de l’histoire ces débats sont plus que séculaires. Je suis en contact avec des chercheurs anglophones, mais la force de la langue véhiculaire qu’est devenue l’anglais est telle qu’ils ont énormément de difficultés à prendre en compte ce qui déborde l’anglosphère. Analyser le jazz vient d’être publié aux Etats-Unis, on verra si cela change quelque chose. Mais là-bas, c’est clivé, il y a les analystes d’un côté, et les autres de l’autre. Personne n’est entre les deux… J’aimerais être entre les deux.


Notes


[1Pouivet, 2010.

[2Gayraud, 2018.

[3« Je puis ajouter de source introspectivement sûre que ces deux goûts s’exercent dans des champs ressentis comme en grande partie hétérogènes et partiellement incommunicables : aimer à la fois le jazz et la musique classique n’est pas vouloir à tout prix les rapprocher, et ne conduit pas nécessairement à favoriser entre eux quelque “fusion”, ou “troisième voie”, que ce soit. Aimer “autant” l’un que l’autre (si cet adverbe de quantité a ici un sens) n’est pas les aimer de la même manière, ni se demander lequel des deux surplombe l’autre sur la fameuse échelle : chacun s’exerce, et éventuellement excelle, dans son ordre, et pour tout dire il me semble que la maturité esthétique, si telle chose existe, commence avec l’admission de ce genre de pluralités : pour apprécier à la fois Racine et Shakespeare, faut-il chercher dans ces deux œuvres le même type de “mérite” ? » Genette, 2010 [1994], p. 575-576.

[4Wolff, 2015.

[5Cugny, 2009.

[6Cugny, 2009, p. 23.

[7Cugny, 2010, p. 100.

[8« Il suffit pour s’assurer qu’il n’est pas vrai qu’on reconnaisse le jazz comme on reconnaît un parapluie rouge, de se souvenir des controverses violentes que suscita en France l’apparition du be-bop. […] Doit-on dire “c’est du jazz” ou “ce n’en est pas” ? Et de tels débats, même si leurs dimensions sont moins spectaculaires, […] n’en ont pas pour autant disparu. Au contraire, ils font partie du fonctionnement permanent du discours tenu sur le jazz. » Duflo et Sauvanet, 2008, p. 26-27.

[9Tagg, 2009 [1987].

[10« On pourrait alors proposer une définition provisoire du type : sont perçues comme relevant du jazz, à une époque donnée et plus ou moins complètement, les musiques manifestant en nombre significatif un certain nombre de traits idiomatiques caractéristiques. Ces traits appartiennent à un ensemble idiomatique se fondant notamment sur des pratiques particulières réservant une grande place à l’improvisation, sur certaines conceptions de la sonorité et du rythme, et sur un ensemble de tournures et de pratiques d’origine afro-américaine. » Cugny, 2009, p. 36.

[11« À la question de savoir ce qu’est l’art, ce n’est pas aux philosophes de répondre, mais aux artistes. Les philosophes, eux, sont toujours mis devant l’art accompli ! D’autant qu’il est impossible d’en donner une définition, car les grands artistes sont ceux qui font évoluer la définition de l’art. » Zourabichvili, 2018, p. 73.

[12Goehr, 2018 [2007].

[13Goehr, 2018 [2007], p. 478.

[14« Ce qui a déjà été dit de la différence entre un morceau de musique, une chanson, et une œuvre de rock s’applique ici aussi. Sur scène, les groupes de rock interprètent des chansons, mais pas des œuvres de rock. Celles-ci sont des artefacts-enregistrements, et rien d’autre. […] Même quand un groupe essaie de créer le même son sur scène que sur ses enregistrements, ce qu’on entend est une exécution live, et non pas l’œuvre. Pour son authenticité, l’œuvre requiert une relation causale et historique entre la séquence sonore et l’enregistrement initial. » Pouivet, 2010, p. 67 sq.

[15Brown, 2014, p. 278.

[16Cugny, Le musical tout court (à paraître en 2020).

[17Okiji, 2018.

[18Jones, 1968.

[19Carles et Comolli, 2000 [1971].


Bibliographie


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Genette, Gérard, L’œuvre de l’art, Paris, Seuil, 2010 [1994].

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Wolff, Francis, Pourquoi la musique ?, Paris, Fayard, 2015.

Zourabichvili, François, L’art comme jeu, texte établi par Joana Desplat-Roger, coll. « Collège international de philosophie », Presses Universitaires de Paris Nanterre, 2018.



Epistrophy,
04, 2019

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Le Jazz, la philosophie et les philosophes / Jazz, philosophy and philosophers

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