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Hugo Dumoulin
Cette étude aborde le lien entre jazz et philosophie sous l’angle d’une « sémiologie du jazz » curieusement peu frayée, alors même que la sémiologie devrait trouver dans la forme des « standards » de jazz un des points d’application les plus naturels d’une méthode et d’une philosophie structurale : l’invariance rythmique de la « forme » du standard – c’est-à-dire la répétition du nombre de mesures dans chaque grille par-delà les versions de cette grille – fournit la base structurale d’une approche paradigmatique des réharmonisations des standards. Différents discours musicaux se distinguent alors sur fond de cette base sémiologique.
This article studies the relation between jazz and philosophy from the viewpoint of a “jazz semiology”. This field remains curiously undeveloped even though the format of the jazz “standard” seems to lead naturally to a structural approach. The rhythmic invariance of the form of a jazz standard provides the structural basis of a paradigmatic approach of harmonization.
On sait à quel point le structuralisme a ouvert, en France, un « moment philosophique [1] » d’ampleur. Ses effets se sont fait sentir en musicologie sous la forme de l’entreprise de constitution d’une nouvelle discipline, la sémiologie musicale, fondée par Jean Molino et Jean-Jacques Nattiez sur la base d’une importation en musicologie des méthodes de la linguistique structurale [2]. Pour ces auteurs, le passage de la linguistique à la musicologie est possible dans le cadre d’une théorie de la tripartition des dimensions de l’œuvre d’art [3] : le niveau poïétique de la création-composition, le niveau neutre du système des signes que l’œuvre constitue, et enfin le niveau esthésique de la réception de l’œuvre. Une fois ces niveaux différenciés il est possible de s’intéresser prioritairement au niveau neutre — et c’est là que l’analyse structurale sera possible et utile. L’œuvre musicale peut y être caractérisée comme un ensemble de signes, structuré par des répétitions et des variations. La méthode distributionnelle de la linguistique harrissienne [4] permet de dégager dans cette répétition/variation les grands axes paradigmatiques qui organisent l’œuvre [5]. On peut donc parler d’un prolongement en musicologie de la méthode que l’anthropologie structurale applique à la parenté et aux mythes [6], nonobstant quelques débats et critiques [7].
On aurait pu s’attendre à ce que la sémiologie musicale française s’intéresse au jazz, musique dont l’histoire et la culture se construisent à travers la reprise et réinvention d’une forme musicale typique, le « standard » de jazz, dont le nom même suggère une approche sérielle et variationnelle. Mais en réalité, l’immense majorité de la littérature consacrée aux approches linguistiques du jazz, peut-être en raison de sa provenance américaine, opte pour une approche qui utilise la linguistique générative [8] — selon l’usage théorique généralisé en musicologie dans les mêmes années [9]. À rebours de la linguistique structurale qui s’appuie sur un corpus empiriquement constitué de faits linguistiques, la linguistique générative ne s’intéresse qu’à la compétence cognitive du locuteur, dont elle formalise les intuitions grammaticales : telle forme étant tenue pour acceptable, comment en rendre raison au plan de règles grammaticales inconscientes organisant la structure syntaxique de la phrase [10] ?
La conséquence musicologique de ce choix théorique est de minimiser l’importance du corpus caractéristique des styles des différents musiciens et époques du jazz : versions des standards, lexique des réharmonisations, vocabulaire des motifs et « licks » de l’improvisation [11], au profit d’une étude de structures harmoniques abstraites formalisables en une grammaire susceptible par exemple de générer toutes les réharmonisations possibles d’une grille de blues [12], ou de simuler automatiquement la compétence de l’improvisateur de jazz [13]. Cette minimisation du corpus conduit à faire disparaître toute trace de l’histoire du jazz dans la constitution de son langage. À la limite, cette histoire particulière tendrait à s’effacer devant l’universalité d’une grammaire profonde, si l’on suit la logique de la linguistique générative [14].
Il nous semble qu’une approche paradigmatique, telle que développée par la sémiologie musicale structuraliste, peut être menée à propos du jazz, et serait à même de saisir ce qui fait le langage du jazz à travers son histoire même — et non pas en s’abstrayant de cette histoire. En effet, la tradition du standard de jazz présente une spécificité qui la distingue radicalement des autres traditions musicales, facilitant la compréhension des emprunts et des influences : alors que les compositeurs de musique classique reprennent à leurs pairs des motifs, des cadences, des techniques d’orchestration, qui se retrouvent disséminés dans leurs partitions, rendant la compréhension des influences plus difficile, les musiciens de jazz qui reprennent un standard (en le réharmonisant volontiers) jouent une grille qui comporte le même nombre de mesures [15]. Que l’interprétation rythmique du thème soit changée, que les fonctions harmoniques des accords soient modifiées, ce qui est donné par le nombre de mesures de la grille — à savoir ce que les jazzmen appellent la forme [16], et que l’on pourrait gloser comme le « rythme harmonique global » — reste inchangé. Ceci n’est pas de peu d’importance en regard d’une approche contextuelle : la place d’une certaine mesure se répète dans chaque version du standard, elle constitue donc un lieu contextuel invariant au sein duquel il est possible d’étudier les réharmonisations comme des variantes qui se différencient les unes par rapport aux autres. Or ces variantes distinctives les unes des autres sont reliées à certains paramètres historiques et stylistiques : on peut dire qu’elles font figure de marques de reconnaissance de ces paramètres.
De plus, étudier la réharmonisation en contexte, selon sa position dans l’espace d’un standard en particulier, c’est se détacher d’une approche abstraite des réharmonisations telle qu’on peut la trouver dans la littérature musicologique d’inspiration chomskyenne. C’est une tout autre compréhension de la réharmonisation qui apparaît : celle qui a trait à la « logique des lignes », à la linéarité syntagmatique du discours musical, aux relations de contiguïté caractéristiques de la matérialité de ce discours. Cette importance donnée au contexte permet d’accéder à une compréhension de certaines réharmonisations difficiles à déduire abstraitement d’une approche générative.
Nous allons réaliser l’étude paradigmatique des réharmonisations de la mesure 8 du A’, dernier A d’« I Remember You » (mesure 32 du thème). Ceci nous permettra de ressaisir une histoire des variations de ce standard célèbre composé en 1941 par Victor Schertzinger, et repris largement par un spectre varié de musiciens et musiciennes depuis lors. C’est à partir de cette étude musicologique concrète que l’on pourra dégager la teneur des liens intimes entre langage du jazz et histoire du jazz — et ce au plus grand profit de la philosophie. En effet, étudier les standards de jazz à partir d’une approche paradigmatique, c’est mettre en lumière un des ressorts du fonctionnement du langage du jazz dans son histoire : la variation dans l’extrême répétition. Que cette répétition à l’infini de la grille puisse être créatrice, que le discours singulier du musicien puisse être l’effet d’une combinaison matérielle de signes, c’est — à rebours des conceptions traditionnelles du génie esthétique — la question que le jazz pose à la philosophie.
Qu’est-ce que la linguistique distributionnelle [17] que nous voulons mobiliser ? Donnons en un aperçu conceptuel en quatre moments. Premièrement, la méthode distributionnelle est l’analyse d’un corpus (linguistique, musical ou autre) dans sa linéarité, c’est-à-dire selon l’enchaînement des éléments (mots, accords) les uns à la suite des autres, relations que l’on peut appeler « syntagmatiques », ou « de contiguïté ». Dans ce cadre, il s’agit d’identifier des environnements qui se répètent (en français on trouve la séquence « le chat mange – sa pâtée » mais pas « le chat mange – danser »). Deuxièmement, on étudie la distribution des éléments dans leurs différents environnements (dans quels contextes trouve-t-on « le chat » ? Il se trouve essentiellement devant « mange », « saute », « dort », à savoir des verbes, mais on s’interdit de connaître par avance cette notion). C’est donc que, troisièmement, l’étude de cette répétition/variation des contextes permet de dégager des classes d’équivalences (devant « mange », « saute », « dort » on a, outre « le chat », aussi « la tortue », et « l’ami » : voilà évoquée rapidement la relation entre la classe des groupes nominaux et la classe des verbes). À l’instar des fonctions de la grammaire, les classes définies par répétition/variation dans le discours musical seront les grands axes paradigmatiques qui organisent l’œuvre musicale. Notons bien enfin que l’on doit en rigueur partir toujours des unités les plus larges, les « constituants immédiats » d’un corpus donné (le chat mange – ses croquettes / sa pâtée) pour les segmenter ensuite en plus petites unités (le chat mange / dort), ensuite (le chat / chien), etc. ce qui nous permet de mettre au jour les paradigmes selon une procédure quasi-automatique.
Cette méthode distributionnelle est celle qui inspire les travaux de Ruwet lorsqu’il analyse la structure du geisserlied « Maria muoter reinû maît » et la chanson de Guiot de Provins « Molt me mervoi » [18], tout comme les travaux de Nattiez, qui étudie Syrinx de Debussy [19], et Density 21.5 de Varèse [20]. En important une méthode d’analyse grammaticale dans l’espace de l’analyse du discours musical, Nattiez et Ruwet ne font finalement que suivre le parcours de Harris lui même. En effet, celui-ci a utilisé la méthode distributionnelle pour analyser autre chose que les structures grammaticales de la langue, à savoir le discours [21] ; ce geste aura des prolongements très profonds dans le courant de « l’analyse du discours » en France [22].
En quoi la grille des harmonies d’un standard de jazz se prête-t-elle à une approche contextuelle ? Deux niveaux différents de « contexte » apparaissent tout de suite, qui vont déterminer pour nous deux niveaux d’analyse. D’abord, ce que nous avons évoqué en introduction, à savoir que la grille d’un standard de jazz comme « I Remember You », jouée en 1941, en 1987 et en 2019 a toujours la même forme, c’est-à-dire un nombre identique ou équivalent de mesures. Autrement dit, un numéro de mesure désigne un certain environnement dans le cadre de la forme globale, par rapport à la grille entière — ce qui n’est jamais le cas pour un corpus linguistique (qui n’a jamais le même nombre de mots ou quoi que ce soit d’équivalent au concept de rythme harmonique — sauf peut-être dans le cas précis de la versification), ni même pour un corpus d’œuvres de musique classique (les emprunts stylistiques d’un compositeur à un autre ne sont jamais de l’ordre de la reprise mesure pour mesure d’un thème). La spécificité métrique de la forme standard de jazz permet une opération fondamentale : considérer une mesure (mesure 32) comme une classe d’équivalence, un paradigme, pour un ensemble de variantes harmoniques. On touche ici à quelque chose de fondamental qui caractérise les standards de jazz comme un genre. À l’image de la caractérisation des genres de discours par une base linguistique commune [23], ici, une caractéristique syntagmatique — l’invariance du rythme harmonique global — fournit la base sémiologique du genre du standard de jazz [24].
Deuxièmement, c’est un autre niveau de relations contextuelles que l’on atteint lorsque, considérant ce qui se trouve à l’intérieur de la mesure, l’on étudie les contiguïtés entre accords, à savoir ce que l’on nomme communément les « enchaînements » d’accords. Pour pouvoir comparer toutes les versions (qui sont dans différentes tonalités) nous raisonnerons en degrés (I) et non en accords réels ©. Ce qui importe donc est bien de retrouver les environnements propres à chaque accord dans le corpus des versions : soit un degré IVm7, dans quels contextes se distribue-t-il ? quels sont les différents accords qui se trouvent avant lui ou après lui dans notre corpus de versions ? Bien sûr, une approche abstraite en termes de théorie des fonctions harmoniques permet aussi d’arriver à prédire quel accord doit suivre quel degré : « IVm7 – (bVIII7) => I » c’est le « II – V – I » plagal du jazz. Mais notre but ici est de regarder comment le contexte d’un standard avec ses contraintes propres produit des réharmonisations dont la logique comporte quelque chose d’irréductible à une analyse abstraite et anhistorique des fonctions harmoniques. Il s’agira de mettre un nom, un concept, sur cette irréductibilité de l’histoire, du corpus, à une analyse axiomatique d’inspiration générative. Ce deuxième niveau d’analyse va nous permettre de raffiner les résultats que nous obtenons au premier niveau.
Après ces quelques remarques méthodologiques nous pouvons passer à l’analyse des deux niveaux.
Nous faisons donc l’analyse de la mesure 32 de la grille et son contexte dans un corpus des versions d’« I Remember You », qui constitue notre analyse de premier niveau. Le corpus a été aussi complet que possible : s’il n’est pas exhaustif, on verra qu’il est néanmoins traversé par de grandes oppositions structurantes et distinctives entre versions.
Dans toutes les versions, quelles que soient les réharmonisations, il y a une mesure 32 du thème, entretenant certains rapports avec la mélodie. Étant donné qu’« être la mesure 32 » est un environnement qui se répète donc pour toutes les variantes on peut considérer la mesure 32 comme classe d’équivalence, paradigme, pour les variantes harmoniques qui sont jouées dans chaque version 31 mesures après le début du thème.
Les résultats sont les suivants. Premièrement, dans cette classe d’équivalence, les variantes sont en nombre restreint (3 variantes majeures). Deuxièmement, on observe que ces variantes peuvent être mises en corrélation avec des conditions de productions socio-historiques, dès lors que l’on associe à chaque version un certain nombre d’éléments relevant de l’histoire du jazz (date d’enregistrement, la formation, le style).
Voici ci-dessous le tableau bilan des résultats :
Les mesures 31 et 33 qui encadrent la mesure 32 sont reportées pour en préciser le contexte. Nous avons utilisé trois couleurs pour repérer les trois versions de la mesure 32 que nous retenons comme majeures :
II 7 | Jaune | |
#IV⌀ IVm | correspondant respectivement aux couleurs | Rouge |
II7 #II° | Bleu |
Pourquoi s’agit-il de trois versions différentes ? Il est possible certes de souligner la parenté de II7 et de #IV⌀, car du point de vue modal [25] ils sont formés à partir de la même gamme mère (par exemple G7 et B⌀ sont des accords tirés de deux modes — mixolydien (mode de sol) et locrien (mode de si) — de la gamme majeure de C ou « C ionien »). Cependant, le défaut de l’analyse modale est qu’elle ne nous dit pas pourquoi remplacer le II7 par un #IV⌀ et non pas par exemple par un Imaj7#4 qui est pourtant un autre mode de la même gamme mère. Autrement dit, l’analyse modale arrive ici toujours après coup pour souligner une similarité qui est aussi valable avec d’autres accords, sans nous expliquer pourquoi il y a bien une différence entre II7 et #IV⌀ qui explique que cette réharmonisation ait lieu plutôt que les autres. Nous pensons au contraire pouvoir nous approcher d’une explication non par la logique abstraite des modes, mais par l’étude concrète des enchaînements contigus d’accords.
Pourquoi seules ces trois versions ? Nous mettons premièrement de côté les deux cas suivants (en gris) : le « #IV°/V » de Diana Krall qui apparaît comme un hapax ; le VI7 qui résout sur un IIm7 (Mulgrew Miller, Sarah McKenzie) qui ramène l’originalité du contexte de la mesure 32 à un classique turnaround « I – VI7 – IIm7 – V7 ». Nous assimilons ensuite les deux solutions « #IV⌀ – IVm » et « #IV⌀ – VII7 » à deux sous-variantes, car le premier accord de la mesure, celui qui inscrit tout de suite la différence par rapport à II7, est le même dans les deux cas (nous marquons cette sous-variante par la différence entre rouge clair et rouge foncé). Enfin, l’absence d’accord (Four freshmen) ainsi que la solution « I – V » que l’on retrouve dans des contextes « pop » (Frank Ifield, The Beatles, Bob Asklöf), effaçant la spécificité propre à cette mesure, sont considérées comme variantes de « degré zéro » ou « degré neutre » de cette mesure (en blanc) [26].
La première constatation que nous tirons des résultats est qu’une variante a une date sinon de naissance, au moins d’émergence : pendant les années 1940, seule la version « II7 » est présente, les deux autres versions n’apparaissant que dans les années 1950. Pour la version « #IV⌀ – IVm » la première occurrence précoce, George Shearing, 1951, est ambiguë et nous reviendrons sur celle-ci en détail dans la deuxième partie de notre analyse ; il faut, sinon, attendre le milieu des années 1950 pour la voir s’installer réellement [27]. Remarquons enfin que les versions ne s’excluent pas historiquement : on retrouve des exemples de « II7 » tout au long des années 1940, 1950 et 1960, malgré l’existence de versions concurrentes.
Par ailleurs, ce que l’on observe directement c’est une forte corrélation entre variante et style de jazz : regardons la corrélation qui existe entre la version « II7 » et le contexte de jazz vocal, dont le tempo est ballad. On retrouve la variante dans les versions de Jimmy Dorsey, Joe Stafford, Helen O’Connell, Doris Day, Ilene Woods, Sue Raney, Dinah Washington, June Christie, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, c’est-à-dire 10 versions de jazz vocal de type ballad ; contre 2 versions instrumentales medium : Charlie Parker, Coleman Hawkins. En revanche on observe la très forte corrélation de la version « #IV⌀ – IVm » avec un contexte type jazz instrumental medium/up : toutes les occurrences sauf les versions de Björk et George Michael qui sont des rubato presque identiques (duo chant-harpe) dans un contexte pop. On en déduit que l’on peut retracer la généalogie des variantes. Il y a clairement deux filiations : la version jazz vocal et la version jazz instrumental. On peut parler de cette mesure 32 comme d’une marque qui distingue une filiation d’une autre.
Entre ces deux filiations on trouve la troisième variante « II7 – #II° » qui fait figure de solution intermédiaire : elle s’apparente à la version « II7 » par son premier accord, mais s’en distingue par sa résolution, car elle nous mène immanquablement « mesure 33 » sur un degré IIIm7, qui lui est propre à la variante « #IV⌀ – IVm ». Elle n’est pas clairement marquée quant à son contexte vocal ou instrumental ce qui justifie aussi de parler de version intermédiaire.
On voit donc dans un premier temps que cette méthode paradigmatique permet de relier une variante avec un certain nombre d’éléments historiques et stylistiques. On obtient des éléments d’analyse stylistique comparables à ce que recherche Nattiez dans l’analyse de Syrinx [28], et nul doute qu’ils rejoignent le travail pratique que fait le jazzman qui veut jouer « dans le style de ». Les variantes de la mesure 32 jouent le rôle de marqueurs, signes de reconnaissance d’un certain style de jazz, d’une certaine filiation historique.
Avant de nous pencher sur l’interprétation de ces corrélations entre contexte socio-historique et marques sémiologiques, allons plus loin dans l’analyse harmonique de la réharmonisation « II7 » / « #IV⌀ – IVm » / « II7 – #II° » en mesure 32. Une analyse distributionnelle de second niveau (à l’échelle de l’accord et de son degré donc) permet de décomposer le processus qui permet de passer d’une des variantes à l’autre. Ce deuxième niveau d’analyse est aussi l’occasion d’une mise au point méthodologique sur la différence entre analyse taxinomique et analyse générative : parce qu’elle opte pour une méthode syntagmatique, attentive à la logique des lignes, l’analyse taxinomique permet de donner un sens ce type de réharmonisations complexes, qui restent sinon très difficiles à formaliser dans la perspective abstraite qu’offre la méthode générative.
Nous avons déjà critiqué le caractère après-coup de l’analyse modale, mais il nous faut aussi aborder les difficultés que rencontrerait une analyse générative sur ce cas précis. Les analyses en termes de grammaire générative ne partent pas du corpus des variantes existantes mais cherchent à modéliser la compétence du locuteur, ainsi elles s’appuient sur notre intuition des formes recevables ou non et tente d’établir les règles de réécriture d’un noyau fondamental de phrase qui génèrent ces formes. Ainsi on aura :
(1) : Phrase => SN + SV [29]
(2) : SN => article + nom
(3) : SV => Verbe + SN
etc.
Ce sont autant de règles dont l’application dessine la structure arborescente de la phrase (« indicateur syntagmatique ») du niveau le plus profond vers le plus superficiel [30]. Par rapport à la méthode distributionnelle qui est taxinomique, la méthode générative est hypothético déductive, et, au moins à ses débuts, se propose d’axiomatiser, c’est-à-dire réduire à un ensemble de règles fondamentales, la langue/le discours musical. Ainsi Ruwet : « Une grammaire générative poétique ou musicale devrait se donner pour but d’énumérer au moyen d’un système de règles, l’ensemble des textes poétiques ou musicaux possibles chez un auteur donné, ou dans un style ou une culture données [31] ».
Si nous prenons le modèle de Mark Steedman qui tente d’établir une grammaire des réharmonisations possibles de la grille de blues [32], nous avons affaire à un ensemble de règles, dont nous reprenons ici les plus significatives [33] :
Le formalisme de ces règles apparaît difficile à manipuler de prime abord mais il ne fait en somme qu’exprimer des réharmonisations assez basiques. Si l’on remarque tout de suite que notre réharmonisation de la mesure 32 « II7 => II7 – #II° – (IIIm7) » semble pouvoir rentrer dans l’orbite de la règle (6), il faut déjà souligner que Steedman s’est cantonné aux accords mineurs et n’a pas prévu qu’elle puisse être appliquée à des accords « 7 ». En outre la transformation la plus complexe, à savoir « II7 => IV⌀ – IVm », n’est pas atteignable au moyen de telles règles.
Pourquoi alors ne pas écrire une règle ad hoc pour ce genre de transformations ? Nous touchons là précisément aux limites d’une approche en termes génératifs. La grammaire qui doit être proposée dans une perspective générative est abstraite et insensible au contexte : c’est-à-dire que les règles qu’elle propose sont toujours susceptibles d’être appliquées récursivement sans entraver la compréhension de la phrase. Il semble que cette récursivité ne soit pas possible pour la transformation que nous étudions. De plus, si une telle règle ad hoc était mise en place, alors toute l’ambition axiomatique (donc généraliste, a priori) s’en trouverait abandonnée. Ruwet souligne que Chomsky lui-même a abandonné l’idée d’écrire la grammaire générative globale d’une langue donnée, son apport en somme devant être surtout méthodologique : il permet d’écrire une théorie scientifique explicite et potentiellement réfutable [34]. À cet abandon, Nattiez, qui s’appuie notamment sur les travaux de certains linguistes [35], répond justement que « si l’on ne peut plus résoudre que des problèmes locaux, alors la méthode de la taxinomie reprend ses droits [36] ». Il nous semble que l’exemple que nous donnons est bien caractéristique de ce retour nécessaire d’une méthode taxinomique, contextuelle et historique, dans la compréhension du discours musical.
L’avantage décisif de la méthode taxinomique est qu’elle permet d’obtenir une compréhension du mécanisme de production par contiguïté de nos trois variantes en identifiant des états intermédiaires. C’est le but de notre analyse au second niveau qui se focalisera sur la version George Shearing, 1951. Il faut alors étudier, non pas les différents contenus d’une mesure comme classe d’équivalence, mais la distribution d’un accord, l’accord de degré #IV⌀, dans tous ses contextes. Nous prenons comme corpus l’ensemble des enchaînements d’accords présents dans l’ensemble des versions d’« I Remember You », Il s’avère que #IV⌀ se trouve toujours suivi par un IVm7 ou un VII7, qui eux-mêmes résolvent toujours sur le même degré à savoir IIIm7. Nous avons déjà indiqué que nous traitons ces deux cas comme des sous-variantes. Plus intéressant est le contexte qui précède #IV⌀. En effet, il est presque toujours I ou I/V, sauf dans le cas bien précis de George Shearing où nous trouvons une descente « I – VIIm – VIm – VI7/V ». Or, et c’est ce qui est important, ce que l’on note VI7/V (dans la version en la de Shearing : F#7(b9)/E ) c’est un accord VI7(b9) ayant sa septième pour basse, qui est la quinte de la tonalité — c’est un accord de neuvième mineure de dominante sans fondamentale [37]. Or si l’on regarde la distribution de ce genre d’accord dans nos versions, VI7(b9) précède toujours un degré II7 ou IIm7 — c’est la résolution classique vers un degré une quinte en dessous (on dit que cet accord est la dominante du degré II). À cet endroit précis pourtant il précède un accord que l’on peut identifier à la fois comme de degré II7 ayant sa tierce pour basse (B7(add9)/D#) [38] et comme un accord de degré #IV⌀ (D#⌀ aussi noté D#m7(b5)). Cette équivocité qui s’installe entre les deux accords est le levier de la réharmonisation :
Pour comprendre le fonctionnement de cette équivocité, il est possible de mobiliser la différence conceptuelle entre la réalisation phonologique matérielle (tel phonème/tel ensemble de notes qui font accord), et le morphème qui a une valeur dans la structure grammaticale (un nom, un verbe/un degré d’accord). Par exemple « (a) table » et « (to) table » en anglais présentent la même matérialité phonologique mais n’ont pas la même valeur de morphème (un nom et un verbe). Ce genre d’ambiguïtés est dirimant dans les analyses de certains discours. Prenons le discours publicitaire suivant :
Millions can’t be wrong
Millions of consumer bottles of X have been sold since its introduction two years ago. And
four out of five people in a nation wide survey say the prefer X to any hair tonic they’ve used.
Four out of five people in a nation wide survey can’t be wrong. […] You too will be satisfied [39] !
Harris fait remarquer la répétition de l’environnement « can’t be wrong » qui crée une équivalence « Millions » / « Four out of five people ». Mais lorsque l’on regarde à première vue l’environnement de « millions », il s’agit de « can’t be wong » / « of consumer bottles » — autrement dit les millions sont d’une part des hommes, de l’autre des bouteilles. L’étude en question n’a pas été réalisée sur des millions de personnes, mais sur un échantillon restreint, ce sont les bouteilles qui ont été vendues à des millions. Ainsi toute l’efficace (trompeuse) du discours repose sur cette ambiguïté que « millions » semble appartenir au contexte « can’t be wrong » de l’étude et au contexte « of consumer bottles » de la vente à grande échelle. En réalité Harris montre que « millions » et « millions (of) » forment deux unités discursives différentes dont la manifestation phonologique est pourtant la même. Ce procédé relie rhétoriquement ces deux contextes alors qu’ils n’ont pas de rapport grammatical.
Ainsi dans notre version, la réalisation d’accord que l’on entend mesure 32 est (ré#, fa#, la, do#), il s’avère qu’elle peut aussi bien correspondre à un #IV⌀ (D#⌀) dans son premier renversement, qu’à un II7/#IV (B7(add9)/D#) accord de neuvième majeure de dominante sans fondamentale. Or chez George Shearing on entend nettement la préparation d’un B7(add9)/D# par F#7(b9) qui est sa dominante [40]. La logique des lignes dans cet arrangement rend donc l’accord ambigu : fonctionnellement (horizontalement) il est un B7(add9) ; mais, pris verticalement, sans sa préparation (comme il l’est dans toutes les versions ultérieures), il peut être aussi D#m7(b5), degré autonome. Il semble donc que cette réalisation d’accord ait, en quelque sorte, fait date, au point d’exister seule, sous la forme #IV⌀, sans le contexte qui la précède « I – VIIm – VIm – VI7/V ». Selon nous, là se trouve le point de passage de l’une à l’autre des deux variantes « II7 » et « #IV⌀ – IVm » ; ou comment, à partir d’un arrangement de George Shearing, une réalisation d’accord motivée par la logique de la ligne de basse — donc une logique de contiguïté — a pu devenir ensuite un degré indépendant, pris sans le contexte qui le motivait à l’origine, pour les jazzmen qui se sont inspirés de la version Shearing [41]. Il est possible de supposer qu’il y a là le travail d’un mécanisme sémiologique profond, analogue à celui de la sédimentation ou lexicalisation des métaphores en sémantique — par lequel les relations qui motivent le déplacement métaphorique se trouvent effacées peu à peu dans la formation d’une expression consacrée.
Ainsi, ce n’est pas la logique contenue les règles abstraites constituant de manière a priori la « compétence » en langage du jazz qui éclaire de manière satisfaisante la réharmonisation, mais la logique contextuelle de l’enchaînement contigu d’accords bien spécifique que présente la version de George Shearing. Cette version est significative parce qu’elle montre que le #IV⌀ n’est pas autre chose qu’un II7 présenté dans une configuration inhabituelle, qui est héritée d’un certain mouvement de basse depuis la tonique en mesure 31. Le point de vue distributionnel répond à cette « logique des lignes » de l’arrangeur qui se confronte à un matériau musical concret, fait de syntagmes contigus s’enchaînant les uns avec les autres. L’absence de cette perspective horizontale fait défaut ici au formalisme génératif, limité par sa compréhension uniquement verticale et hiérarchique du phénomène de la réharmonisation.
Arrêtons-nous sur l’enjeu philosophique des analyses précédentes. Cette « sémiologie structurale » du jazz dont nous montrons la possibilité permet de souligner ce qui pour nous constitue la « question » que le jazz pose à la philosophie, dans le sillage du structuralisme.
Cette question est celle, ontologique, de la réalité du signe et de sa capacité à produire des effets socio-historiques. Elle a déjà été posée en un certain nombre de lieux, sous le nom « d’efficacité symbolique [43] », ou « d’instance de la lettre [44] », et trouve ses racines dans ce que l’on peut appeler la « coupure saussurienne [45] », c’est-à-dire la mise en évidence par Saussure de la systématicité de la langue et de son autonomie par rapport à la parole, coupure fondatrice de la discipline linguistique [46]. L’étude de la langue se veut alors le préalable et le modèle d’une étude sémiologique plus générale de la « vie des signes au sein de la vie sociale [47] », à savoir l’étude des effets socio-historiques de ce pan de réalité que constituent les signes. C’est dans le cadre de cette coupure définitoire de l’objet signe que l’étude des signes musicaux comme étude du niveau neutre de l’œuvre d’art par Molino et Nattiez trouve sa consistance épistémologique. Plus généralement, le structuralisme, à partir de la « découverte » de la langue, somme la philosophie de prendre acte de la réalité et des effets d’un être nouveau : le signe. Le thème du « sens », qui engage les champs de la philosophie de l’existence, de la philosophie de l’histoire, et plus généralement de la philosophie sociale et politique, ne doit plus alors être abordé comme la remontée à partir des signes et traces vers la signification originaire qu’une subjectivité constituante a voulu exprimer — mais comme l’effet de relations matérielles de délimitation et de combinaison constituées au niveau des signes eux-mêmes. Si la langue a un « fonctionnement » qui lui est propre [48], l’espace plus large des signes dispose aussi d’une systématique qui est à explorer à l’aune des catégories de différence et de répétition. Il faut alors saisir, dans l’existence, dans l’histoire, dans la réalité socio-politique, la portée des effets de cette réalité que sont les signes. Ainsi Lévi-Strauss déclare de manière programmatique (et provocante) : « plutôt que de chercher une origine sociologique du symbolique, il faut chercher une origine symbolique de la société [49] ». Si toutes les interactions sociales ne se réduisent peut-être pas à des rapports symboliques, il faut néanmoins tâcher de comprendre l’efficacité configurante des signes sur une partie du réel socio-historique.
Or, comme nous l’avons vu dans notre étude, le genre du standard de jazz apparaît déterminé par une certaine contrainte sémiologique qui lui est propre : les grilles qui sont jouées comportent toujours un nombre identique ou équivalent de mesures. Dès lors la place de chaque mesure est fixée dans la forme du standard, elle devient paradigme : tous les contenus qui peuvent venir remplir cette place obtiennent le statut de variante en situation de détermination réciproque. Il est alors intéressant de se demander si cette situation ne sert pas de base pour des processus de différenciation entre certains discours musicaux ayant des coordonnées socio-historiques déterminées — ceci à l’instar du rapport que la langue entretient avec les différents discours qui l’utilisent pour se différencier [50]. On observe alors effectivement une corrélation (certes étudiée de manière embryonnaire) entre nos variantes et le contexte stylistique, à savoir jazz vocal ou instrumental. Ceci fait que l’on peut s’autoriser à parler de nos variantes comme autant de marques de certaines conditions socio-historiques [51]. Autrement dit, la différence du contexte de production socio-historique du discours musical détermine l’emploi de certaines marques sémiologiques distinctives. En retour, ces éléments socio-historiques sont configurés par le plan des signes. L’enjeu théorique est donc bien de débusquer en musicologie ce que d’autres ont analysé en linguistique, à savoir : les formes discursives de détermination de « ce qui peut et doit être dit (articulé sous la forme d’une harangue, d’un sermon, d’un pamphlet, d’un exposé, d’un programme, etc.) à partir d’une position donnée dans une conjoncture donnée [52] ». Il s’agit, en somme, de concevoir le langage musical comme le support d’un fonctionnement énonciatif — système qui détermine ce que le fait de jouer tel accord ou telle note nous apprend sur la position de l’énonciateur-musicien.
On peut alors décrire le langage du jazz, au travers des standards, comme le lieu d’un certain affrontement : il est traversé par une logique de distinction entre plusieurs groupes qui se reconnaissent et se déterminent par le biais de discours marqués différentiellement. Ici le jazz vocal semble s’opposer au jazz instrumental : pourquoi ? Une analyse historique plus poussée impliquerait de se pencher sur les conditions de travail des instrumentistes, sur les déterminations d’ensemble qui produisent une structuration ainsi genrée du corpus — au sens où les chanteuses sont du côté d’une variante et les instrumentistes masculins de l’autre [53]. Est-ce que le caractère dérivé de la « variante instrumentale », passant ainsi pour « plus complexe », fournit un prétexte pour l’affirmation de supériorité de l’instrumentiste masculin ? Cela est possible, mais reste pour le moment de l’ordre de l’interprétation, qu’il faudrait étayer par d’autres recoupements. Outre la différence de genre, c’est aussi la différence entre musique savante et musique populaire qui apparaît comme ligne de fracture de notre corpus : l’ensemble des versions de « I Remember You » apparaît comme un espace dans lequel ne cesse se redéterminer cette opposition. Le standard circule entre des interprétations savantes (jazz instrumental), des versions de jazz vocal (la forme traditionnelle des tunes du Great American Songbook), et même des versions pop music qui se réapproprient le standard et y apposent leur propre marque (ce que nous avons identifié comme « degré neutre »).
Cette double circulation à travers les oppositions de genre et de classe sociale (populaire/savant) dessine un espace de rapports de force dans le jazz, mais dessine aussi les contours d’une lutte et d’un franchissement possibles. Ainsi il faut prendre au sérieux le fait que la version de Björk, une chanteuse dans un contexte pop music, porte pourtant la marque du jazz instrumental à la mesure 32 : cette inversion de marque est une subversion, signe d’un discours musical qui déplace les frontières de l’assignation des genres et des classes, ainsi que le titre de l’album — Venus as a boy — lui-même l’annonce [54].
Par ailleurs, en analysant « au deuxième niveau » comme nous l’avons fait dans notre troisième partie la version George Shearing comme point d’émergence de la variante jazz instrumental, on voit que c’est dans la matérialité du langage musical du jazz — et non dans un jeu abstrait de réécritures de fonctions — que se trouve la matrice du marquage des différentes versions. Certaines réalisations matérielles d’accords présentent une équivocité pour ce qui est du degré et donc de la valeur harmonique qu’elles expriment. Cette équivocité surdétermine ces réalisations, les charge en valeur supplémentaire, générant des sortes de métaphores harmoniques. Celles-ci sont alors susceptibles de se lexicaliser, donnant ainsi les deux marques différenciées constitutives des versions jazz vocal et jazz instrumental. Ces phénomènes équivoques de surdétermination sont par ailleurs bien connus des linguistes et psychanalystes : Lacan exploite le même genre de relations syntagmatiques équivoques lorsqu’il explore les effets de sens métonymiques propres au plan du Signifiant et révélateurs des opérations de l’inconscient [55] ; Pêcheux identifie le lieu où se révèlent formations discursives et idéologiques dans le witz, trait d’esprit, qui montre en le subvertissant le discours attendu et obligé [56] ; Milner propose une conception de la langue comme peuplée de « points d’impossible », qui échappent à sa réduction à un formalisme abstrait de règles de réécriture [57]. Ainsi, précisément, si c’est sur le plan de la matérialité du langage musical — c’est-à-dire au niveau des réalisations matérielles des accords — que se constituent les marques harmoniques, c’est aussi sur ce plan matériel qu’une résistance, un déplacement des frontières entre genres peut advenir. Par exemple, la variante intermédiaire que nous avons dégagée débute comme la variante vocale mais résout de la même manière que la variante instrumentale — grâce à un jeu d’équivocité du degré II7 et #II°. Elle réalise une sorte de subversion harmonique qui n’est plus marquée stylistiquement quant au genre vocal ou instrumental de jazz.
Ainsi donc, la productivité du langage des standards (assignation à un genre de jazz par le biais de marques) tout comme leur créativité (émergence de nouvelles versions) passe par leur caractère extrêmement répétitif : la répétition d’une variante (Jimmy Dorsey) produit des déplacements de sens (George Shearing) susceptibles à leur tour de se lexicaliser en consacrant une nouvelle marque distinctive (Tal Farlow) ou au contraire de s’hybrider (Sonny Rollins, version « Sonnymoon For Two »). La configuration symbolique d’une distinction socio-historique entre sous genres de jazz s’appuie sur cette extrême répétition, mais s’expose aussi par-là au changement, puisque la répétition ouvre la possibilité d’une réélaboration, d’une remotivation des métaphores lexicalisées — mettant en avant cette fois-ci la différence, au cœur même de la répétition. L’historicité du langage des standards semble alors déterminée doublement : d’un côté comme synchronique, puisque la répétition de la même grille introduit une systématicité qui détermine l’opposition des marques distinctives entre elles et permet donc la logique de reconnaissance entre groupes, mais de l’autre comme éminemment contingente, puisque, par le jeu de l’équivocité des réalisations concrètes et matérielles des accords, de nouvelles versions sont susceptibles d’émerger et de prendre un rôle dans le système. Dans ces conditions, le fonctionnement sémiologique des standards est, selon nous, analogue au fonctionnement de la langue tel que le décrit Saussure, y compris dans sa capacité à induire des effets de configuration du réel social et politique des sujets humains [58].
Confrontée à un discours dont la productivité et la créativité sont structurées par sa répétition à l’état quasi industriel de « standard », la philosophie rencontre une difficulté : plutôt que d’édifier une pensée dans laquelle le sujet aurait la garantie de retrouver sa singularité consolidée dans le reflet du monde, elle se confronte aux structures arbitraires et indifféremment passives de l’être du signe et du langage. Cette « bêtise » de la langue [59], sa capacité à faire système d’éléments contingents et matériels, apparaît pourtant comme ce qui conditionne et configure symboliquement une part non négligeable de l’être socio-historique du sujet humain. Dans ce cadre théorique où symbolique et historique s’articulent, les standards du jazz sont cet objet éminemment structuré qui donne matière et exemple pour penser la réalité et la vie des signes sous les auspices de la différence et de la répétition : le jazz fait alors figure d’objet privilégié pour une philosophie matérialiste de la structure et de l’histoire.
[1] Maniglier, 2011.
[2] Nattiez, 1973a, 1975a.
[3] Molino, 1975.
[4] Harris, 1951, 1954.
[5] Le premier usage de cette méthode se trouve dans Ruwet, 1966. Elle est reprise ensuite sous une forme modifiée dans Nattiez, 1975a, qui lui donne un arrière-plan théorique. Il s’explique sur ces déplacements successifs dans Nattiez, 2003.
[6] Lévi-Strauss, 1945, 1955, 1964.
[7] Nattiez, 2008. L’auteur reproche à Claude Lévi-Strauss d’avoir abandonné, dans l’étude des mythes, l’exigence de proposer une démarche descriptive, qui éclaire chacune des étapes permettant de parvenir au résultat.
[8] Perlman et Greenblatt, 1981, Pressing, 1985.
[9] Lerdhal et Jackendoff, 1983.
[10] Chomsky, 1957.
[11] Johnson-Laird, 1991.
[12] Steedman, 1984.
[13] Levitt, 1981 ; Pennycook 1993 ; Ramalho et Ganascia 1994.
[14] Chomsky, 1965.
[15] Modulo les éventuels dédoublements ou déformations qui préservent une équivalence avec le nombre et la répartition de mesures initial.
[16] Ainsi acquérir « le sens de la forme » c’est sentir passer les cycles de huit, seize, ou trente-deux mesures, et suivre les grandes articulations du morceau (A-A-B-A ; A-A’ ; A-B-A-C et bien d’autres) même si celles-ci ne sont pas explicitement soulignées.
[17] Harris, 1951.
[18] Ruwet, 1966.
[19] Nattiez, 1973b.
[20] Nattiez, 1975b.
[21] Harris, 1952.
[22] Dont on peut dire que Michel Pêcheux est le fondateur et le théoricien. Voir à ce sujet Pêcheux, 1969, 1975 et 1990.
[23] L’étude de la contrainte linguistique spécifique exercée par le genre de discours est entreprise déjà dans Bakhtine, 1984. Elle est actuellement une des perspectives de l’analyse du discours en France, voir par exemple Née, Oger et Sitri, 2017.
[24] On préfère, provisoirement, parler de « base sémiologique » plutôt que de « base linguistique », car si l’analyse d’une phrase et d’une pièce musicale ont bien en commun l’élément syntagmatique (ordre des mots, ordre des mesures), la langue semble à première vue offrir des dimensions (référentielles, performatives) que n’a pas le discours musical, et qui paraissent liées à certaines fonctions anthropologiques comme la communication. Néanmoins, si une enquête théorique plus poussée montre que la méthode distributionnelle donne accès à exactement tout ce qui, dans l’ensemble des phénomènes de langage, est du ressort de la langue (et donc l’objet de la linguistique) — alors on pourra aussi parler pleinement de langue et de « base linguistique » pour désigner ce fonctionnement de répétition et variation syntagmatiques que la méthode distributionnelle met au jour au sein du discours musical.
[25] Levine, 1995.
[26] Une vérification de contrôle sur les variantes de la grille du standard « Where Are You ? » montre que la réharmonisation « #IV⌀ – IVm » pour « II7 » est attestée (mesure 3), on touche donc bien ici à une réharmonisation qui fait partie du vocabulaire du jazz, et qui n’est pas une simple curiosité.
[27] Un mot de commentaire sur la version Horace Silver, 1954, qui suit directement George Shearing, 1951, et présente une difficulté : nous la considérons cependant comme faisant elle aussi partie des variantes « #IV⌀ – IVm » pour plusieurs raisons. Premièrement, étant de forme « VIm – #IV⌀ – IVm » elle est très proche de « #IV⌀ – IVm » : elles diffèrent d’un unique temps dans le cadre d’un tempo ballad, suffisamment lent pour faire entendre la couleur « #IV⌀ – IVm ». Deuxièmement, ce degré VIm qui vient remplacer le #IV⌀ sur le premier temps, on le trouve aussi dans la version Shearing : placé sur le 3e temps de la mesure 31 il prépare le degré #IV⌀ en prenant part à une ligne de basse descendante « I – VII – VIm – VI7/V » très riche, qui nous apprend quelque chose de décisif, nous le verrons à la fin, sur la nature de ce #IV⌀. L’enchaînement qui mène à ce degré VIm mesure 32 de la version de Silver nous semble une variante décalée de cette ligne « Shearing », qui en préserve la structure harmonique générale.
[28] Nattiez, 1973a.
[29] SN pour Syntagme Nominal ; SV pour Syntagme Verbal.
[30] Chomsky, 1965.
[31] Ruwet, 1972. Cela précisément sans partir d’un corpus de matériaux référencés historiquement, mais à partir des règles hypothétiques qui caractériseraient au niveau cognitif la « compétence » poétique et musicale de l’auteur, du style, de la culture en question. De même que Chomsky pour qui tous les phénomènes du discours sont des conséquences des structures formelles de la langue, la méthode du second Ruwet conduit à considérer a priori les styles comme des structures formelles indépendantes de toute historicité. Dans notre méthode au contraire, le passage par un corpus montre bien que la base sémiologique est traversée de part en part par l’historicité des discours qui l’utilisent ; le système sémiologique de marquage est le support d’un processus de différenciation socio-historique par lequel les individus réels tiennent un discours plutôt qu’un autre.
[32] Steedman, 1984.
[33] Ici les signes entre parenthèses désignent des qualités d’accord possibles. Le « x » est une variable employée pour désigner n’importe quel accord on se réfère pour les opérations suivantes : Sdx (sous-dominante de x = degré IV par rapport à x) ; Dx (dominante de x) ; Stx (supertonic de x = degré II), etc.
[34] Ruwet, 1975.
[35] Gross, 1979.
[36] Nattiez, 1975a, p. 387.
[37] Pour mémoire, c’est le type d’accord qui est chiffré +4, 3 en harmonie dite « classique »
[38] Cet accord-ci est chiffré 7, 5 barré.
[39] Harris, 1952.
[40] Cette relation est donnée par la distribution du VI7(b9), qui précède toujours un degré II. Intuitivement, on entend nettement la neuvième, la septième et la tierce en attente de résolution.
[41] Il est possible de mener une analyse similaire pour le « II7 – #II° » en insistant sur l’ambiguïté entre II7b9 et #II° qui présentent eux aussi la même réalisation.
[42] Expression que nous reprenons à Pêcheux, 1983.
[43] Lévi-Strauss, 1959.
[44] Lacan, 1966.
[45] Pêcheux, Haroche et Henry, 1973.
[46] Cette autonomie et cette discipline se déterminent par le rejet de la conception de la langue comme nomenclature (un mot renvoie à une chose), et par les deux principes constitutifs que sont l’arbitraire du signe, et son caractère différentiel : « dans la langue il n’y a que des différences » (Saussure, 1916). La langue, dans sa systématicité, doit pouvoir être étudiée indépendamment de la référence, de la parole, ou même de l’intention de signification.
[47] Saussure, 1916.
[48] Pêcheux, 1969. Ce concept de fonctionnement est central dans les lectures actuelles de Saussure, ainsi Toutain, 2013, p. 45.
[49] Lévi-Strauss, 1950, p. 20.
[50] « La base linguistique sert de support à des processus discursifs », Michel Pêcheux, 1975, p. 81 et p. 145. Ce que nous faisons peut être considéré comme une importation de sa méthode en musicologie, prolongeant le travail de Molino et Nattiez. Sa perspective s’échafaude en effet sur les mêmes bases distributionnalistes.
[51] Ici réduites à l’opposition être une chanteuse / être un instrumentiste, mais il est possible d’étudier dans le jazz le marquage sémiologique d’autres phénomènes comme le racisme, les inégalités de salaire, la construction de l’image de l’artiste-créateur.
[52] Pêcheux, Haroche et Henry, 1971, p. 102.
[53] Notons que Chet Baker, chanteur, mais masculin, choisit la version instrumentale.
[54] Je dois cette remarque sur la version de Björk à Élise Escalle, que je remercie ici grandement.
[55] Lacan, 1981, p. 243 sq.
[56] Pêcheux 1978, 1981, p. 41 sq. et p. 211 sq.
[57] Milner, 1978.
[58] Pêcheux, Haroche et Henry, 1971.
[59] Saussure, 1916 ; Maniglier, 2005.
Ancien élève de l’E.N.S Ulm diplômé en philosophie et musicologie, agrégé de philosophie, Hugo Dumoulin enseigne la philosophie à l’université Paris-Ouest Nanterre. Membre des laboratoires Sophiapol et HAR, il prépare actuellement une thèse sous la direction de Judith Revel et de Patrice Maniglier où il explore la manière dont se pose la question de l’historicité dans le contexte du structuralisme et plus généralement du moment philosophique des années 1960 en France. Ses recherches portent sur l’interface entre épistémologie et philosophie politique, et viennent poser la question de l’histoire et du pouvoir aux corpus philosophique, anthropologique et linguistique, ouverts par l’événement du structuralisme. Hugo Dumoulin collabore à diverses revues comme La Part de l’œil, et divers ouvrages à paraître comme le Dictionnaire des œuvres philosophiques, chez Ellipses, sous la direction de Jean-François Suratteau (articles d’épistémologie sur Cavaillès, Thom, Monod, Atlan et Desanti) le Dictionnaire Lévi-Strauss, chez Laffont, sous la direction de Jean-Claude Monod, et le Dictionnaire Foucault, chez Laffont, sous la direction de Fabrice de Salies. Il est un membre actif du Pôle de Philosophie Française Contemporaine de Nanterre en co-organisant le colloque « L’Événement entre temps et histoire ». Hugo Dumoulin est aussi ancien élève des C.R.R de Toulouse et de Paris et musicien de jazz sur la scène parisienne, où il fait vivre son projet, inspiré par la musique de Bill Evans : Hugo Dumoulin Interplay Quintet.
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Michael, George, Songs from the Last Century, Virgin, 7243 8 48740 2 5, 1999.
Miller, Mulgrew, Wingspan, Landmark Records, LLP-1515, 1987b.
Montgomery, Wes, Wes Montgomery and the Wynton Kelly Trio – Unissued 1965 Half Note Broadcasts, Jazz on Jazz, 244555, 2013 [1965].
O’Connel , Helen, Great Girl Singers, Hindsight Records, années 1940 [1988].
Parker, Charlie, Now’s the time, Verve Records, MGV-8005, 1953.
Raney, Sue, When Your Lover Has Gone, Capitol Records, T-964, 1958.
Rollins, Sonny, Rollins plays for Bird, Prestige, PRLP 7095, 1957a.
Rollins, Sonny, Sonnymoon For Two, Moon Records, MCD O15-2, 1990 [1959c].
Shearing, George – The Complete Quintet Studio Sessions (1949-1954), United Archives, NUA09, 1951.
Silver, Horace, Horace Silver Trio and Art Blakey, Blue Note, BLP 5034, 1954a.
Stafford, Jo, Songs by Johnny Mercer, Capitol Records, 10001, 1944.
The Beatles, Live ! at the Star-Club in Hamburg, Germany, Lingasong, LNL 1, 1977 [1962c].
Turrentine, Stanley, Cherry, CTI Recrods, CTI 6017, 1972.
Vaughan, Sarah, Snowbound, Roulette, SR 52091, 1963a.
Washington, Dinah, What A Diff’rence A Day Makes !, Mercury, SR 60158, 1959a.
Whitman, Slim, A Travelin’ Man, Imperial, LP-9313, 1966.
Woods, Ilene, It’s late, Jubilee, JLP 1046, 1957b.
et bien d’autres…
Liens audio de « I Remember You »
Jimmy Dorsey : https://www.youtube.com/watch?v=HQnl9czgDvQ
George Shearing : https://www.youtube.com/watch?v=8iVqfB1djz4
Tal Farlow : https://www.youtube.com/watch?v=LAX2crRv1qc
Pour citer l'article
Hugo Dumoulin : « Enjeux philosophiques d’une sémiologie musicale du jazz : la forme du « standard » de jazz comme articulation entre structure et histoire » , in Epistrophy - Le Jazz, la philosophie et les philosophes / Jazz, philosophy and philosophers.04, 2019 Direction scientifique : Joana Desplat-Roger - ISSN : 2431-1235 - URL : https://www.epistrophy.fr/enjeux-philosophiques-d-une.html // Mise en ligne le 10 novembre 2019 - Consulté le 10 novembre 2024.
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