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Remarques sur l’expérience esthétique interactionnelle chez Miles Davis en 1969 : le projet de « Bitches Brew » et les concerts avec le 3e Quintette


Notes on the interactional aesthetic experience in Miles Davis’ groups in 1969 : the project of "Bitches Brew" and concerts with the 3rd Quintet

Fabiano Araújo Costa


Résumé


L’article présente une réflexion sur l’expérience esthétique interactionnelle chez Miles Davis, dans le contexte de séances studio et de concerts pendant l’année 1969, en utilisant des apports conceptuels et de la taxinomie de la Théorie de la Formativité Audiotactile, de Vincenzo Caporaletti. Le problème de fond c’est l’impact des technologies de post-production à l’époque par rapport à la dimension temporelle esthétique de créativité interactionnelle jazzistique. Sur le plan théorique, le texte approfondit de concepts clefs de la phénoménologie audiotactile telles que le « principe audiotactile » [PAT] et la « codification neo-auractique » [CNA] en les rapportant aux notions de « formativité » et « artisticité » de Luigi Pareyson, et en développant de conceptions originelles pour l’étude de l’interaction musicale notamment celle du « lieu interactionnel-formatif » [LIF]. Sur le plan analytique, on s’occupe de l’identification du LIF dans la macro-forme du morceau « Bitches Brew » en studio et dans l’articulation macro-formelle de ce même morceau en concerts.


The present work looks at the interactional-aesthetic experience of the Miles Davis group during both studio recording sessions and live concerts in the year of 1969. This study is based on the concepts and the taxonomy of the Vincenzo Caporaletti’s audiotactile formactivity theory, and has as a background problem the impact of the post production technologies available at that time on the temporal and aesthetic dimensions of the jazz interactional creativity. On the theoretical ground, we propose a deeper investigation of the key concepts in the audio tactile phenomenology, such as the “audio tactile principle” [ATP] and de “neo-auractical encoding” [NAE] in relation to the Luigi Pareyson’s notions of “formactivity” and “artisticity”. Original concepts for the study of musical interaction are also developed, noticeably the notion of the “interactional formative space” [IFS]. In terms of analysis, our proposal is to identify the IFS into the macro-form of the piece “Bitches Brew” recorded in studio, and into the macro formal articulation of the same piece in live performances.



Texte intégral



 Introduction

Pendant l’année 1969, Miles Davis fait le plus gros des séances d’enregistrement de Bitches Brew [1] chez Columbia avec le producteur Teo Macero. Cet album témoigne de l’utilisation de nouvelles techniques d’enregistrement et de post-production telles que la reprise et l’édition de la bande magnétique (coupage, duplication, collage/montage), ce qui a produit des morceaux dont certaines interactions musicales, lesquelles sont censées participer à l’organisation formelle du texte musical enregistré, apportent en effet une temporalité [2] artificielle par rapport à celle de la performance.

À l’époque de leur parution on ne savait pas que le disque contenait des montages. Merlin et Rizzardi rapportent la critique diffusée le 6 juin 1970 par Doug Ramsey’s Jazz Review – radio WDSU-FM à New Orleans qui disait : « La manière avec laquelle Davis est capable de tenir ensemble le tissu de l’improvisation collective durant plus de vingt minutes d’invention, est une prouesse dont seul Charles Mingus, parmi les jazzmen modernes, est parvenu [3] ». Les auteurs montrent que les critiques de l’époque s’étaient étonnées face à cette énigmatique « séquence miraculeuse d’invention extemporanée [i] ».

En effet, il arrive que même si à l’époque les techniques telles que le montage, la superposition et le loop, ont déjà été utilisées en musique [4], ces nouvelles possibilités d’enregistrements ont rencontré une certaine résistance dans le monde du jazz à cause de l’idéal culturel qui « avait toujours lié la musique sur disque à son caractère de document, sur fond d’une conception courante du jazz comme musique fondée sur le mythe de la “spontanéité” [5] ».

Merlin et Rizzardi touchent ainsi un point nodal de l’esthétique du jazz, celui de la prévalence, sur le plan axiologique, de la temporalité réelle sur la temporalité artificielle de la créativité interactionnelle dans le jazz.

Néanmoins, si d’un côté Davis se consacre à ce genre d’expérimentations en studio avec un groupe de douze à quatorze musiciens [6], de l’autre il était toujours dans une temporalité réelle de la performance en concerts avec son quintette formé par Wayne Shorter (ss), Chick Corea (elp), Dave Holland (b) et Jack DeJohnette (dm). Le « Quintette perdu » (« The Lost Quintet  » [7]) est ainsi nommé précisément du fait de l’absence d’enregistrements en studio. Par contre, si d’un côté, cette documentation en studio est inexistante, de l’autre, on peut non seulement écouter et voir les performances du groupe en concerts enregistrées en vidéo par les chaînes de télévisions européennes [8]. En outre, on soulève le fait que les musiciens du 3e Quintette ont vécu l’expérience du projet de Davis en studio, non plus dans une logique de quintette, mais intégrés dans le projet du disque, tout en y apportant leurs bagages de quintette de scène.

Ce facteur n’est pas négligeable, à notre avis, car au cours de l’année 1969, Davis a fait environ soixante-dix concerts avec le 3e Quintette, dont quarante-neuf avant les séances Bitches Brew d’août. En outre, parmi les morceaux enregistrés en studio, tous ont eu une version réalisée par le Quintette en concerts, sauf « Pharaoh’s Dance », « John McLaughlin » et « Bitches Brew » qui ont été créés en studio. Dans cet article nous n’allons étudier que le cas de « Bitches Brew » puisque c’est le seul parmi ces derniers qui fera ensuite partie du répertoire des concerts. La figure 1 montre les dates des concerts du groupe juste avant et après les séances studio de Bitches Brew.

Une dernière donnée qui corrobore avec cette thèse du rôle fondamentale de l’expérience du Quintette dans le projet de Bitches Brew est le fait que le 18 août 1969, soit un jour avant le début des séances, Davis avait invité Wayne Shorter, Chick Corea, Dave Holland, Jack DeJohnette (les membres du Quintette, donc) plus Lenny White et Josef Zawinul (incertain) lors d’un rendez-vous chez lui, probablement pour faire connaître le groove et les idées de « Bitches Brew » [9].
Fig.1 – Dates des concerts européens et des séances en studio entre juillet et novembre 1969. {JPEG}
Fig.1 – Dates des concerts européens et des séances en studio entre juillet et novembre 1969.

Ce qui nous intéresse alors dans cette situation particulière de la carrière de Davis c’est le phénomène de la créativité interactionnelle et l’impact de la technologie de post-production sur ce phénomène. En lui rapportant au cadre conceptuel de la « formativité » du philosophe italien Luigi Pareyson et à la taxinomie de la « formativité audiotactile » de Vincenzo Caporaletti [10], nous avons élaboré l’idée de « lieu interactionnel-formatif » [LIF] comme l’expérience esthétique interpersonnelle réussie par rapport à l’établissement et à la reconnaissance mutuelle d’un événement musical en train de se faire comme objet artistique.

Avec ces instruments théoriques nous voulons réfléchir sur « l’artisticité issue de l’interaction musicale » et « l’artisticité issue de la technologie » en essayant de répondre aux questions suivantes : (1) étant donné les conditions de la production de Miles Davis en concert et en studio en 1969, notamment dans le morceau « Bitches Brew », quelles sont les instances (performance/post-production) pertinentes, en chaque cas (studio/concerts), pour identifier le LIF ? ; (2) avec quel type d’interaction les auditeurs du morceau enregistré dans le disque original peuvent-ils réagir ? ; (3) quel rapport peut-on envisager entre la construction de LIF artificiels et les LIF réels ultérieures de « Bitches Brew » ?

L’article est divisé en deux parties. La première partie est dédiée à la discussion et à la formalisation des instruments théoriques, tandis que la seconde est dédiée à l’analyse du morceau « Bitches Brew ».

 Encadrement théorique

Approches antérieures sur l’interaction dans le jazz

Avant d’entrer dans le terrain théorique soutenant notre réflexion, nous essaierons de situer en lignes générales en quoi notre approche se distingue des approches plus traditionnelles de la littérature musicologique sur l’interaction musicale dans le jazz.

Il nous semble possible de regrouper ces approches en trois catégories générales : (1) celles qui, comme Monson (1996) et Berliner (1994), se concentrent sur les aspects socio-linguistiques et socio-culturelles de la communication musicale entre les musiciens pendant la performance, mettant en évidence notamment le rapport entre les expressions linguistiques métaphoriques utilisées par les musiciens et la logique de leur processus musical comme groupe ; (2) celles qui, comme Coolman (1997), Hodson (2007) et Waters (2011), se concentrent sur l’analyse de paramètres musicaux issues de la théorie musicale occidentale, révélés par transcription des enregistrements ; et (3) les approches qui s’occupent d’une description par réduction phénoménologique de l’interaction comme celles de Rinzler (1988, 2008), Sarath (1996) et Reinholdsson (1998).

À l’examen des conceptions esthétiques qui sont au fondement du premier type de discours, on y trouve l’esthétique « Afro-Américaine » qui développe surtout le concept de signifying et qui se configure, il nous semble, comme une esthétique de l’expression selon laquelle la beauté de l’objet se rapporte à la beauté de l’expression, à la cohérence de la figure artistique avec le sentiment de son auteur.

« Signifiyng, pour Gates [Louis], concerne la mise en valeur de modes figuratifs d’expression qui marquent les “deux univers discursifs” des Noirs et des Blancs. Ce n’est pas tant un problème lié à ce dont on parle mais à comment c’est dit : “ On ne signifie pas une chose ; mais plutôt, on signifie cela d’une certaine façon”. La transformation de l’utilisation du langage de l’univers discursif “blanc” dans les modes d’expression de l’univers discursif “noir” est à la base de la notion de répétition avec un signal diffèrent de Gates. À un niveau plus général, Gates utilise le terme signifying pour indiquer n’importe quelle transformation dont les modes d’expression figuratifs Afro-Américains y sont employés [11] ».

Selon nous, une telle conception esthétique appliquée au discours de l’interaction musicale jazzistique est susceptible de nous amener au risque de confondre esthétique avec poétique notamment parce que la poétique traduit en termes normatifs et opératifs un certain goût d’une culture dans l’art, alors que l’esthétique, de son côté, étudie la structure de l’expérience esthétique où se trouve le problème de la poétique.

Dans la conception de l’art comme « formativité », l’objet de l’esthétique c’est plutôt l’effort de l’artiste pour diriger, selon les lois et les normes en jeu, sa propre activité. C’est-à-dire que la loi et les critères sont de l’expérience et non pas un programme préétabli comme, par exemple, l’opposition à un mode d’expression culturelle, dans les cas « noir » et « blanc ».

Concernant les approches de Coolman, Hodson et Waters, leurs analyses soutiennent la pertinence de la communicabilité de paramètres de la théorie musicale – telles que l’harmonie, le phrasé, le rythme et la forme – entre les acteurs d’une performance. La conception esthétique fondamentale est donc formaliste, c’est-à-dire qu’elle met l’accent du point de vue de la forme.

Nous arrivons ici au problème des oppositions entre forme et contenu, entre le « comment » et le « quoi », avec d’un côté le point de vue du contenu, qui s’occupe de ce que l’art signifie et veut dire, et de l’autre, le point de vue de la forme, et les courants qui affirment que l’art ne veut rien dire mais qu’il est essentiellement production d’objets.

L’esthétique de la formativité se pose comme une conception alternative à celle de l’esthétique de l’expression et de l’esthétique de la forme, et envisage l’unité de la forme et du contenu. Et c’est précisément dans cette perspective que s’insère notre approche de l’interaction musicale avec la conception de « lieu interactionnel-formatif » [LIF]. Outre la dimension esthétique, avec la taxinomie de la formativité audiotactile, la pertinence change sensiblement de perspective, comme nous le verrons plus tard, de celle de la théorie de la musique occidentale vers la perspective de valeurs audiotactiles.

Les approches de Rinzler, Sarath, et Reinholdsson, sont largement concernés par la conception du LIF, mais à des aspects qui échappent à la portée de cet article. On remarque toutefois que le travail de Reinholdsson offre une discussion approfondie sur la perspective théorique de l’interactionnisme-symbolique, à travers laquelle il développe les intuitions de Rinzler.

En définitive, au lieu de penser l’activité artistique comme expression, nous l’envisageons comme un faire dont l’aspect productif serait intensifié, puisqu’il est uni à un aspect inventif. Ce sont dans ces termes, alors, que nous envisageons le concept de « formativité » pour qualifier l’activité artistique et esquisser une phénoménologie de l’expérience esthétique interactionnelle dans le jazz.

Le « lieu interactionnel-formatif » [LIF]

Dans cette partie nous essayons de délimiter le champ théorique de ce que nous envisageons comme « lieu interactionnel-formatif » [LIF] dans le cadre de cet article.

Selon la formativité de Pareyson, une œuvre d’art est en même temps une forme-formante et une forme-formée [12] parce que, selon l’auteur, on doit interpréter l’œuvre comme le résultat d’une activité formante qui a réussi à trouver la règle unique de se former en tant qu’œuvre. Grâce à cette dynamique de la formativité, l’esthétique de Pareyson offre un modèle où une œuvre d’art réussie est celle qui a produit et obéit à sa propre règle. De plus, une telle règle ne pourrait pas être une autre puisqu’elle est le propre style de l’artiste en tant que manière de former, c’est-à-dire, son « artisticité ». L’« artisticité » pour Pareyson, c’est donc le « caractère artistique » de l’activité formative dans l’œuvre non pas comme expression mais comme signification. La règle de l’œuvre, c’est son « artisticité », et elle coïncide avec l’« artisticité » de l’auteur.

Nous voulons retracer ces « traits d’artisticité » de la production de Davis en 1969 tout en préservant le caractère productif et technique de son processus créatif, pour finalement souligner la construction d’une temporalité réelle [13] et d’une temporalité artificielle [14] de la créativité interactionnelle. La notion d’ « artisticité » est très importante ici, car elle permet d’identifier pourquoi une pratique est artistiquement acceptée et une autre ne l’est pas.

En lien avec cette perspective, nous concevons donc le LIF comme la place de l’expérience esthétique interactionnelle. C’est une place dont l’établissement dépend de l’intention formative de chaque musicien, mais qui dépend aussi de la reconnaissance mutuelle des événements musicaux – qui sont en train de se faire – en tant qu’objet artistique.

Ainsi, cette première intuition nous amène à penser le LIF comme un champ d’interactions qui se constitue dans la performance. C’est-à-dire, à penser la performance comme le moment où les musiciens sont en même temps soumis à l’exigence d’établir ce lieu et de reconnaître sa règle artistique. Cette conception s’applique sans problèmes à l’examen des enregistrements de « Bitches Brew » avec le 3e Quintette en concert, ce qui ne semble pas être le cas pour l’enregistrement en studio avec le groupe de douze musiciens. Pourquoi ?

Tout d’abord parce que le projet de cet album s’appuie sur la possibilité de plusieurs LIF détachés l’un de l’autre. La description par Thibault des séances de cet album illustre notre propos :

« Les prises, en particulier celles des pièces nées en studio “Pharaoh’s Dance” et “Bitches Brew”, n’excèdent que très rarement les dix minutes. Les arrêts sont nombreux, puisque Davis arrange au fur et à mesure des propositions de ses musiciens les compositions de départ. En fonction de ce qu’il entend, il peut ainsi donner une nouvelle indication pour une nouvelle prise. Une fois qu’il estime avoir extrait tout ce qui pouvait être des motifs de départ, la pièce est, pour ainsi dire, terminée, n’attendant plus que le traitement de postproduction de Macero pour trouver une structure et une progression narrative cohérentes [15] ».

Il nous faut donc faire une distinction entre le LIF dans le moment de la performance et dans le moment de la post-production. La figure 2 illustre le fonctionnement du LIF dans ce contexte complexe de Bitches Brew  :
Fig. 2 – Fonctionnement du LIF dans les moments du projet de Bitches Brew. {JPEG}
Fig. 2 – Fonctionnement du LIF dans les moments du projet de Bitches Brew.}}}

Chaque « moment » du projet est donc relié à un type de LIF, et chaque LIF est divisé en deux phases : (1) son établissement et (2) son jugement en tant qu’objet artistique. Le moment de la performance produit des LIF différés par rapport à la continuité totale du morceau. Dans ce « moment », on peut dire que le collectif est responsable de l’établissement du LIF. Néanmoins, le jugement de sa réussite est évidement une tâche du collectif, mais, comme nous l’avons vu, il est déterminé par le projet de Davis et Macero, ce qui donne seulement à Davis le pouvoir d’interrompre le LIF. Ainsi, l’artisticité interactionnelle du groupe [16] parait être en effet sous l’autorité de l’artisticité du projet.

Dans le moment de la post-production, les LIF sont finalement rassemblés par le processus de découpage, collage et montage. Dans cette situation, de nouveaux LIF peuvent être établis artificiellement par Macero et Davis. Ici encore, l’artisticité du groupe paraît être sous l’autorité de l’artisticité du projet.

Dans le cas de Bitches Brew, jusqu’à quel point l’établissement du LIF est déterminé par le projet ou, au contraire, lui est-il déterminant ? En effet, ce genre de problème esthétique suscité par la dialectique entre l’artisticité interpersonnelle dans la performance et l’artisticité du projet qui prévoit la post-production peut trouver une nouvelle perspective avec les instruments théoriques de la formativité audiotactile qui s’ajoutent donc à notre conception de LIF.

La formativité audiotactile, de Caporaletti, est une spécification du modèle esthétique pareysonien par le biais de la médiologie et des sciences cognitives, et conçoit un modèle de formativité de musiques comme le jazz, le rock, la world music, dont le système opératif-cognitif prévalent est régi non pas par le medium de la notation musicale et de la théorie musicale occidentale moderne, mais par le principe audiotactile [PAT] en tant que medium cognitif-corporel, et par la codification néo auractique [CNA] en tant que possibilité de réification du PAT comme texte musical à travers l’enregistrement phonographique.

Par rapport au concept pareysonien mentionné plus haut, le PAT assume la fonction de la forme-formante tandis que la CNA caractérise l’attitude esthétique du PAT, celui de sa réification en tant que forme-formée, grâce au medium phonographique.

Donc, quand Caporaletti dit que le PAT, c’est la forme-formante, il spécifie une qualité processuelle de l’opérativité artistique des musiques audiotactiles responsable par la production de connexion formelle [17], qui est distincte de l’opérativité de la musique de tradition écrite occidentale dont le medium cognitif prévalent est le medium notationnel. Ainsi, sont mises en évidence une série de valeurs audiotactiles, comme le groove et le swing, les participatory discrepancies [18], le drive, le flow, et l’interaction musicale qui se posent comme des facteurs déterminants, tout créés dans la performance, ce qu’on appellera des valeurs verticales.

Comment ces instruments théoriques peuvent nous aider à identifier l’établissement et la reconnaissance du LIF dans « Bitches Brew » comme objet artistique, ou en d’autres termes : à identifier son « artisticité » ?

En effet, pour approcher l’idée pareysonienne d’ « artisticité » au jazz nous projetons l’idée de (1) l’« artisticité » dans l’horizon d’une valeur esthétique, ou « artisticité » inhérente à la façon dont le groupe s’établit comme « lieu interactionnel-formatif » [LIF] ; et (2) l’« artisticité » qui dérive de l’influence du medium d’enregistrement phonographique au niveau de l’opérativité créative-formative.

Dans les termes de la formativité audiotactile, donc, nous proposons l’examen de l’« artisticité » liée au medium psycho-somato-corporel du PAT dans un contexte interactionnel, et l’« artisticité » liée à la médiation psycho-cognitif de l’inscription textuelle de la performance en forme de phonogramme, la CNA.

CNA primaire et CNA secondaire

Le projet d’un disque comme Bitches Brew reflète donc ce que nous appelons l’« artisticité » inhérente au medium de la nouvelle technique d’enregistrement. Reprenant les termes de la formativité audiotactile, un tel medium défini l’opérativité créative-formative et assume le rôle de la forme-formée au sens pareysonien. Quand l’artiste est en train de faire l’œuvre musicale, il le fait en se constituant en forme-formante qui crée la règle de l’œuvre justement parce qu’il envisage la forme-formée. Voyons ce que nous dit Caporaletti :

« D’autre part, nous avons l’effet subjectif ou poïétique d’un tel processus [de CNA], pour lequel les valeurs imposées par la CNA sont, disons, assimilées par les artistes, qui les relient aux modes de catégorisations de la musique et, par conséquent, à ses critères de production. De cette façon, la CNA est fermement inhérente à l’image esthétique du genre considéré, rendant actifs les mécanismes promus par la CNA même dans un contexte purement exécutif [19] ».

Ainsi, la CNA apparaît comme une notion qui fournit les clefs pour la compréhension des conséquences cognitives des médiations culturelles (dans notre exemple, le disque) parce qu’elle touche le problème médiologique de la façon dont une culture (ou une micro culture) se représente soi-même. Caporaletti conçoit la CNA comme un medium conceptuel dont les modalités de son implémentation se réverbèrent, se réfléchissent, sur l’imagination esthétique des produits culturels, donc, sur les valeurs qu’y sont attachées. La CNA, comme nous l’avons souligné plus haut, identifie le statut textuel musical de l’enregistrement phonographique.

Caporaletti identifie deux phases de la CNA dans l’histoire du jazz : la CNA primaire et la CNA secondaire [20]. Si on utilise des termes de la tripartition de Molino [21], repris par Nattiez, on peut dire que la CNA primaire, c’est la possibilité de reproductibilité du temps dans le niveau esthésique [22], alors que la CNA secondaire, c’est la possibilité de reproductibilité du temps dans les niveaux poïétique [23] et esthésique.

Dans le cas de la CNA primaire, la performance est le lieu de la fondation du texte, de la forme formée, et donc, les stratégies d’analyse pour repérer les traits d’artisticité ou les valeurs esthétiques inscrits dans ce type de médiation doivent s’appuyer sur l’horizon de la stratégie esthétique adoptée par la forme formante. Le résultat de l’enregistrement est, pour ainsi dire, la « musique brute » en opposition à la « musique montée ».

Par contre, dans le cas de la CNA secondaire, comme dans la « musique montée », la conscience esthétique qui découle de la CNA identifie le texte dans l’enregistrement, et l’artiste « compose » le disque, et non une performance. Les conséquences de cette situation sont importantes, car dans ce dernier cas l’image sonore déterminée par la disposition des microphones, le mixage qui définit la sonorité globale, le montage, etc., sont des outils de composition, et relèvent de la forme, de la substance de l’œuvre. Dans la CNA secondaire, le disque, c’est le texte, le temps est renversé aussi en phase poïétique, l’œuvre est l’enregistrement approuvé par l’auteur.

Dans ces termes, on atteint un fondement esthétique pour un changement de paradigme, revendiqué notamment par Merlin et Rizzardi concernant l’appréciation de Bitches Brew :

« l’authenticité dans la musique déposée sur un disque comme Bitches Brew, en somme, n’a rien à voir avec sa présumée fidélité à une exécution réelle et “spontanée”, mais d’abord avec la valeur du projet musical, et avec la préméditation du compositeur qui peut bien se servir de la bande magnétique, des ciseaux et de la colle, ainsi que d’un papier et d’un stylo [24] ».

Néanmoins, au-delà de la difficulté à définir précisément qui serait le compositeur dans ce cas – Davis ? Zawinul ? Macero ? – la question sur le type d’interaction à laquelle les auditeurs de ce disque peuvent réagir reste encore problématique dans la perspective du LIF. Surtout si on considère que la culture jazzistique se nourrit des disques pour former l’image esthétique de l’interaction. En somme, il reste cette question : est-ce qu’une réalité interactionnelle comme celle qu’on perçoit à l’écoute du disque serait possible sans le renversement du temps dans le niveau poïétique et sans le processus ultérieur de montage ?

 Analyse : Identification du LIF dans « Bitches Brew »

Ce parcours théorique accompli, notre démarche musicologique consistera à déchiffrer les événements de connexions macro-formelles du morceau « Bitches Brew » après le montage de Macero, puis dans les concerts du 3e Quintette.

Le montage de la macro-forme de « Bitches Brew » en studio

Nous allons travailler sur la base des données repérées par l’étude de Merlin et Rizzardi (2009), qui est entièrement consacré au projet de l’album Bitches Brew et qui inclut un grand nombre de détails grâce à leur accès aux sources de l’enregistrement. L’étude montre que le morceau « Bitches Brew » a été organisé préalablement en cinq parties, dont seulement quatre ont été effectivement enregistrés. Les parties III et IV correspondaient à ce qui a été utilisé pour monter le morceau « John McLaughlin ». Donc, le matériau pour le montage de « Bitches Brew » ne serait issu que des prises 1 et 2 des parties I et II, disposées comme le montre la première ligne de la figure 3.

La figure 3 montre un schéma dont on voit, issus de la forme et des événements résultants [25], des coupages et montages des parties préprogrammées et des prises respectives. La macro-forme choisi par Macero est structurée selon le modèle : Exposition 1 – Solos – Exposition 2 – Solos – Exposition Final. Néanmoins, comme l’observe Cugny, du fait que durant la partie attribuée aux solos seuls Davis et Shorter vont « prendre des solos identifiables, c’est-à-dire accédant à un premier plan distinct de l’ensemble [alors que les autres musiciens concourent] à parts égales à créer le son de groupe, sans pouvoir nettement s’en détacher [26] », cela nous invite à faire une première distinction des événements (outre l’exposition) entre solos (Sl) et interactions (Int).

De ce schéma on remarque aussi que ce qui est advenu de la partie thématique de « Bitches Brew » (Intro, Thème), dans les deux expositions, est le résultat d’un fragment de la bande magnétique sans édition.
Fig. 3 – Forme et durée des événements de « Bitches Brew » après le montage. {JPEG}
Fig. 3 – Forme et durée des événements de « Bitches Brew » après le montage. (Cliquer pour agrandir)

Revenons une fois encore au problème de l’artisticité interactionnelle. Notre thèse est que dans le morceau « Bitches Brew », il y a une tension entre l’artisticité interactionnelle du groupe et l’effet de l’artisticité du projet. Notre tâche est d’identifier, dans les instances de la performance et de la post-production, le processus d’établissement et de reconnaissance du LIF comme objet artistique. Une direction possible serait de considérer que l’artisticité du groupe est contenu dans l’artisticité du projet à cause des effets de l’image de la CNA en tant que forme-formée. Voici ce que nous dit Caporaletti :

« La possibilité de l’usage du medium d’enregistrement phonographique comme outil créatif donne lieu, dans les musiques audiotactiles, à des conséquences de nature cognitive : ces conséquences existent aussi, en tant que schèmes conceptuels, dans les performances qui ne sont pas enregistrées, comme possibilité culturelle inhérente qui affecte le système cognitif des performeurs. De tels comportements cognitifs se répercutent sur l’image esthétique de musiques audiotactiles en tant qu’aspect distinctif par rapport à la musique de cultures traditionelles/orales, qui sont d’ailleurs analogues sous l’angle de la formativité audiotactile [27] ».

Ainsi, comme les effets de la CNA sont actifs dans la situation de studio en tant que CNA secondaire, l’action du PAT (la forme-formante) – qui se réalise notamment dans le groove et les extemporisations [28] – est soumise à l’effet de la conscience d’une économie particulière de valeurs esthétiques de la CNA (la forme-formée) en vigueur lors de l’établissement du LIF.

« Avec les séances enregistrées en août 1969, recueillies dans Bitches Brew, le parcours vers la totale réalisation de la projection des valeurs transcendantes audiotactiles arrive à son terme, où s’est transformée en définitive la manière même de faire référence à la musique. Davis, à la fin des années 1960, à délinéé la signification symbolique égalitaire et libertaire de l’interaction expérimenté dans le free jazz – dans lequel, d’ailleurs, il a averti que la fréquente absence de pulsation (moins fréquente, cependant, qu’on ne le croit) ne permettait de profiter d’une des plus grandes opportunités que le contexte audiotactile peut offrir – en travaillant sur cela avec le groove profondément communicatif de dérivation funk et rock [29] ».

Dans cette analyse Caporaletti fait une comparaison entre le mode d’interaction expérimenté dans le free jazz, chargé de signification symbolique du type égalitaire et libertaire, qui porte donc une qualité, disons, centrifuge ou divergente, et le mode d’interaction du groove de dérivation funk et rock, essentiellement communicatif et de qualité, disons, centripète ou convergente. D’après cette affirmation, la construction du mode d’interaction de Bitches Brew fusionne de façon nouvelle les apports du free jazz et du funk et du rock.

Ainsi, quand on considère que dans cette période Davis expérimentait des solutions créatives en concert et en studio, on se demande si une réalité interactionnelle telle que perçue à l’écoute du disque serait possible sans le renversement du temps dans le niveau poïétique et sans le processus ultérieur de montage.

Une telle question nous invite à une analyse comparative entre le résultat musical de « Bitches Brew » en studio et en concert. Pour procéder à l’analyse comparative il nous faudra une catégorie objective qu’on appellera « événement interactionnel-formatif » [EIF]. Différemment du LIF qui envisage distinguer le phénomène intersubjectif, le EIF fait référence à un passage musical enregistré qui assume une éventuelle fonction formelle du point de vue de l’interaction et de la formativité dans le morceau.

Pensons au projet de « Bitches Brew ». En studio, sous l’influence de la CNA secondaire, nous distinguons le « LIF Réel », celui qui a été constitué dans la performance dans un EIF continu, et le « LIF Artificiel », qui résulte d’un rassemblement de EIF différés.

Il nous reste à procéder à une catégorisation des valeurs formelles pertinentes dans chaque cas. Nous proposons la distinction entre (1) les valeurs verticales qui sont les valeurs audiotactiles, auxquels engendrent les connexions formelles au niveau micro et intermédiaire, et (2) les valeurs horizontales qui sont les valeurs visuelles [30], d’ordre syntaxique, qui engendrent les connexions formelles au niveau macro.

Ainsi, nous pourrions dire que la tâche de Macero, dans la post-production fût de forger davantage les connexions formelles horizontales au niveau macro. C’est-à-dire d’organiser l’ensemble de matériau de la bande magnétique dans une macro-forme Exposition – Solos – Exposition – Solos – Exposition. Par contre, comme nous montrent Merlin et Rizzardi, Macero a fait des montages qui on construit de véritables épisodes artificiels aussi aux niveaux intermédiaires et micro. Les exemples les plus frappants sont le vamp à la clarinette basse à 02’51’’ (Fig. 3 et 9) et un riff de la trompette de Davis à la fin de son deuxième solo [31]. Dans ces deux cas, même s’ils ont une fonction horizontale, on ne peut nier la portée des valeurs audiotactiles pour la réussite de la construction des épisodes.

Il reste encore la possibilité d’identifier où se trouvent les connexions et comment elles se présentent selon les typologies de construction syntaxique des phrases issues de la linguistique : hypotactique et paratactique. Essayons de développer un peu cette idée.

Selon le modèle de la linguistique, les connexions des idées dans ce qu’on identifie comme une phrase, peuvent se présenter de deux façons : (1) par parataxe, qui est une « construction par juxtaposition, sans qu’un mot de liaison indique la nature du rapport entre les phrases [32] », ou (2) par hypotaxe, qui, par opposition à la parataxe, est la subordination d’une proposition par rapport à une autre [33].

Cette typologie est importante pour la compréhension, par exemple, du principe de « chaîne d’associations motiviques » dont Ekkehard Jost parlait dans son livre Free Jazz [34]. Comme nous le dit Vincent Cotro, en note de traduction, on voit bien que le principe de « chaîne d’associations motiviques » de Jost se réfère au modèle de parataxe :

« Le terme [“chaîne d’associations motiviques”] est emprunté à la psychologie expérimentale où une “chaîne d’associations” désigne une série d’associations verbales “libres”. Ces associations ne sont pas guidées par des critères rationnels tels que des “catégories” ou des “similitudes sonores” mais dépendent uniquement du courant de conscience du sujet opérant l’association [35] ».

Si d’un côté le schéma de la macro-forme choisi par Macero dans la post-production suit une logique hypotactique, comme celle de la forme sonate par exemple, de l’autre côté, l’exposition thématique de « Bitches Brew » – laquelle, comme on le verra dans la prochaine section, a été intégralement constituée dans la performance [36], se configurant ainsi comme un « LIF Réel » constitué dans un EIF de temporalité continue – suit un modèle qui est paratactique, où le matériau est disposé comme dans un panier, et juxtaposé après par les musiciens faisant usage d’un outil de coordination ou de subordination.

La figure 4 montre un tableau où l’on identifie des EIF qui porteraient des LIF Réels et Artificiels dans « Bitches Brew ». Le tableau fait référence aux événements par rapport à la disposition du montage explicité dans schéma de la figure 3. On a identifié plutôt les points de connexions formelles. Ceux qu’on peut prendre comme le résultat de l’établissement d’un LIF Réel sont ceux qui se trouvent dans des EIF de temporalité continue. Les connexions et événements de la colonne de la droite ont été construis par Macero.
Fig. 4 – Identification et classification de EIF et LIF après le montage de « Bitches Brew » {JPEG}
Fig. 4 – Identification et classification de EIF et LIF après le montage de « Bitches Brew »

Dans la section suivante nous allons essayer d’entrer dans la réalité interactionnelle de l’Intro 1 et du Thème 1, qui se présentent finalement comme des instances pertinentes pour l’identification de l’ « artisticité interactionnelle du groupe [37] » comme règle d’établissement et de reconnaissance du LIF comme objet artistique.

L’articulation formelle de l’Exposition de « Bitches Bew » en studio

L’Exposition 1 est composée de trois parties : (1) l’Intro, (2) le Thème, et (3) le vamp. Seuls l’Intro et le Thème sont des EIF continus. Ces deux parties sont constituées par un nombre très limité de structures. La figure 5 montre les trois structures qui sont ménagées par la section rythmique dans l’Intro : (1) la figure ostinato de trois notes de Do grave, d’une proportion relative à celles identifiés par le rectangle vert ; (2) l’accord sur Do (en violet) qui peut être identifié comme un C-∆ (♭6), et qui est toujours accentué par la batterie qui extemporise librement, suivie par les percussions, fonctionnant comme balise des événements ; (3) la phrase « Buster » (en rouge) laquelle, selon Lenny White, a été repérée, par Miles, lors d’un exercice que le bassiste Buster Williams faisait avant de jouer [38].

Ces structures sont toujours en jeu lorsque Davis commence à lancer une séquence de Do (orange) qui marque le début du Thème 1a (Fig. 6). Nous pouvons identifier trois parties homogènes dans le Thème 1 [39] qui est structuré selon la forme ABABC. Dans la partie A, la séquence de la trompette est superposé à la phrase « Buster », exécutée par Corea au Fender Rhodes. Ici, Davis joue une séquence de dix groupes de deux notes Do. Dans la partie B, Davis superpose deux La♭ (bleu), très aiguës et qui font un portamento d’une 5ª juste ascendante, sur la figure des trois Do graves. Comme on peut le voir dans la transcription sur la figure 6, le modèle AB est répété, mais la phrase « Buster » est jouée par la basse de Holland, et le La♭ de Davis est joué une seule fois, alors que Corea extemporise sur le Rhodes.

Fig. 5 – Intro 1 de « Bitches Brew », LP.

Dans la partie C, qui suit cette séquence ABAB, Davis lance la « phrase conclusive » (marron) tandis que le Rhodes refait la figure ostinato sur le Do grave. On voit qu’il n’y a pas une règle pré établie sur la manière dont l’ostinato (vert) est joué. Parfois une seule fois, comme dans le premier B, parfois avec une note ajoutée à la fin, comme dans le second B, parfois en séquence et avec des notes ajoutées au début.

Ainsi, du fait que l’Intro et le Thème ne sont pas le résultat d’un montage, mais de l’enregistrement de l’organisation extemporanée et interactionnelle des six éléments identifiés plus haut, on pourrait dire que les musiciens s’occupaient en effet d’un « montage » en temps réel, d’une véritable per-formativité paratactique. Nous remarquons la façon extemporanée dont ces éléments sont juxtaposés dans les différentes reprises du thème : Thème 1a (Fig. 6), Thème 1b (Fig. 7), et Thème 1c (Fig.8). À notre avis, cette ouverture est un des facteurs déterminants pour la constitution de cet événement comme LIF. Il persiste pourtant une interrogation sur les facteurs qui ont déterminé la reconnaissance mutuelle de l’événement comme LIF, ce qui exigerait une analyse encore plus détaillée dans ce EIF.

Fig. 6 –Thème 1a, Exposition 1 « Bitches Brew », LP.

Fig. 7 – Thème 1b, Exposition 1 de « Bitches Brew », LP.

Fig. 8 – Thème 1c, Exposition 1 de « Bitches Brew », LP.

Fig. 9 – Vamp de l’Exposition 1 de « Bitches Brew », LP.

La macro-forme des versions de « Bitches Brew » en concert

Pour l’instant, nous ne proposons qu’une brève analyse de la macro-forme des versions de « Bitches Brew » en concerts avec le 3e Quintette. Nous avons repéré la forme de chaque version (Fig. 10) qui, sans surprise, sont différentes non seulement de la forme de la version studio mais aussi l’une de l’autre.

Par rapport à la version studio, Laurent Cugny soutient que :

« la différence principale est que le groupe sur scène est toujours dans la logique formelle du quintette, la même qui est à l’œuvre dans le premier et le second [Quintettes] et, pourrait-on-dire, à l’œuvre dans tout le bebop  : exposition du thème, solo de trompette, solo de sax, solo de piano, réexposition ou non du thème. Ce qui distingue ce 3e Quintette des deux autres c’est que, une fois que Miles a fait son solo, le tempo se déstructurait pendant celui du sax, pour disparaître totalement dans celui de piano électrique, devenu entièrement free [40] ».

Par contre, si cette thèse est valide pour la logique générale d’enchaînement formel macro du Quintette, il nous semble important de faire attention non seulement à l’enchaînement de solos, c’est-à-dire des improvisations, mais aussi au caractère extemporisatif du traitement du matériau thématique de l’Exposition et des interactions pendant ces solos, qui peut nous révéler un trait de l’artisticité interactionnelle du groupe qui dépasse la logique formelle des quintettes bebop, comme a bien signalé Cugny.

La question est : quels sont les conditions d’établissement et de reconnaissance de la performance de « Bitches Brew » en concerts comme LIF par le 3e Quintette ?
Fig. 10 – Macro-forme des versions de « Bitches Brew » en concert. {JPEG}
Fig. 10 – Macro-forme des versions de « Bitches Brew » en concert. (Cliquer pour agrandir)

Les remarques faites ici concernent l’aspect productif (poétique) et technique comme un ensemble dans le LIF, ce qui nous permet aussi de mettre en perspective respectivement les notions de permanence et de changement dans le processus créatif, c’est-à- dire : (1) la technique comme ce qui est déjà structuré, accompli, ce qu’on sait qui réussira, ce qui a déjà été expérimenté, et (2) la poétique comme ce qu’on ne sait pas ce qu’il va advenir, ce qui est à faire. Prenons l’exemple des combinaisons orchestrale pendant l’improvisation de Corea – parfois en trio (à Rome), en duo (à Copenhague, avec DeJohnette, et à Berlin, avec Holland) [41] ou en solo (à Paris) – comme élément structurant, l’« organisé » dans ce LIF est un résultat des extemporisations et des justesses pendant la performance.

 Conclusion

Les apports théoriques de la formativité pareysonienne et esthétiques/mediologiques de la théorie audiotactile, qui fondent la notion de LIF, offrent avec celui-ci des clés pour comprendre ce qui est important pour un artiste (ou un groupe) et ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire son « artisticité ». Ils offrent aussi des clés pour la compréhension philologique du texte musical créé de façon collective.

Le LIF apporte aussi les spécificités de la dimension audiotactile et interpersonnelle de la formativité. L’analyse à la lumière du LIF nous conduit à considérer la musique comme un ensemble de formes-formantes en interaction.

La figure 11 résume les catégorisations auxquelles nous sommes arrivés. En studio, sous l’influence de la CNA secondaire, le LIF est soumis à des phases spécifiques qui doivent être considérées en fonction des stratégies esthétiques propres aux niveaux poïétique et esthésique : celle de la performance qui engendre sur la dimension temporelle la production de LIF différés, et celle de la post-production où sont produits les LIF rassemblés. Cependant le phénomène du LIF est identifié dans la performance comme « LIF constitué/Réel », où les valeurs audiotactiles (verticales) sont fondées en tant que texte, et comme « LIF Rassemblé/Artificiel » dans la post-production, où sont fondées les valeurs d’ordre syntaxique (horizontales) de la macro-forme. Le disque en tant qu’image esthétique envisagé par le projet de Davis et Macero, projette dans la culture jazzistique (niveau esthèsique) le LIF différé et Artificiel comme LIF Réel de temporalité continue.

En concert, sous l’influence de la CNA primaire, le Quintette a préservé alors son « intégrité » en tant que « LIF constitué » de temporalité continue, en dépit du « LIF artificiel » phonographique fixé dans le légendaire LP Bitches Brew, dans lequel ils ont participé de façon déterminante.

Autrement dit, en concert, Davis a privilégié l’« artisticité » de l’interaction du groupe, et le Quintette a préservé son « intégrité » en tant que « LIF constitué » de temporalité continue. En studio, Davis a privilégié l’« artisticité » du projet, définit par le médium technologique, et donc ce qui a été fixé dans Bitches Brew, c’est un « LIF rassemblé » de temporalité artificielle.
Fig. 11 – Configurations du LIF en concerts et en studio. {JPEG}
Fig. 11 – Configurations du LIF en concerts et en studio.

Avec l’ensemble du matériau théorique, spéculatif, historique et pré-analytique proposé dans cet article nous avons essayé de fournir une base pour des études ultérieures en se posant la question des intentions formatives individuelles (dimension verticale) [42] et de la communication des intentions formatives en feedback (dimension horizontale), ainsi que le problème de l’« artisticité » partagée au sein du LIF.




Notes


[1Pendant tout l’article, on utilise Bitches Brew en italique en référence à l’album de 1970, et « Bitches Brew » entre guillemets au morceau enregistré, parfois celui de l’album, parfois ceux des différents concerts.

[2Pour différencier les conditions en concert et les conditions en studio nous utilisons la notion de temporalité dans le sens de continuité de l’action opérative-organisatrice de la forme sonore-musicale dans la performance, c’est-à-dire la continuité de l’action per-formative musicale (toutes ces expressions sont explicitées dans la suite du texte).

[3Merlin & Rizzardi, 2009, p.185.

[iIbid. Au cours de l’article nous avons choisi de conserver le terme italien « estemporaneo » ou « estemporizzazione », car, bien qu’il se réfère a plupart du temps au sens courant d’« improvisation » (comme dans cette citation, par exemple), ce terme est utilisé par Vincenzo Caporaletti comme distinct de l’improvisation. Voir infra.

[4Notamment par Pierre Schaeffer dans les années 1940 – à l’époque sans la bande magnétique – et aussi dans les années 1920, par les cinéastes russes. Cf. Kramer, 1988, p. 70.

[5« prima di essere compiutamente sfruttate, tuttavia, occorreva infrangere una barriera culturale assai resistente che, specialmente nell’ambito del jazz, aveva sempre strettamente legato la musica su disco al suo carattere di documento, sullo sfondo di una considerazione corrente del jazz come di musica fondata sul mito della “spontaneità” ». Merlin & Rizzardi, 2009, p. 187.

[6Pour les séances dont les morceaux du LP original (Columbia GP 26, 15/05/70) ont été enregistrés, c’est-à-dire les séances du 19, 20 et 21/08/69 dans le Studio B de Columbia à New York, le personnel fixe était : Miles Davis (tpt), Wayne Shorter (ss), Bennie Maupin (bcl), John McLaughlin (g), Chick Corea (elp), Josef Zawinul (elp), Dave Holland (b), Harvey Brooks (elb), Jack DeJohnette (dm), Charles Don Alias (dm, perc), et Jim « Jumma Santos » Riley (perc). Lenny White (dm) a participé aux séances du 19 et du 21/08/69. Larry Young (elp) a participé à la séance du 21/08/69. Le projet de Bitches Brew compte deux séances en plus, toujours en 1969 (les 19 et 28/11/69) au Studio E de Columbia à New York, dont le matériau a été publié dans l’intégrale The Complete Bitches Brew Sessions (Columbia/Legacy C4K 65570, novembre 1998). Le personnel, cependant, a changé sensiblement : Miles Davis (tpt), Steve Grossman (ss), Bennie Maupin (bcl), Herbie Hancock (elp), Chick Corea (elp), John McLaughlin (g), Khalil Balakrishna (sitar, tanpura), Harvey Brooks (elb), Airto Moreira (perc), Charles Don Alias (dm, perc) et Bihari Sharma (tabla, tanpura) sont présents pour les deux séances. Ron Carter (b) et Billy Cobham (dm) composent le groupe lors de la séance du 19/11/69 et Dave Holland (b) et Jack DeJohnette (dm) composent le groupe lors de la séance du 28/11/69. L’intégrale contient aussi des morceaux enregistrés en janvier et février 1970 au Studio B de Columbia à New York, mais cela sort du cadre cet article. Pour plus de détail sur les séances, consulter Merlin & Rizzardi, 2009, pp. 296-302.

[7Ce groupe est également nommé ici « 3e Quintette » en référence au premier quintette (avec John Coltrane (ts), Red Garland (p), Paul Chambers (b) et Philly Joe Jones (dm), actif entre 1955 et 1959) et au « second quintette » (comprenant Wayne Shorter (ts), Herbie Hancock (p), Ron Carter (b) et Tony Williams (dm), dont l’activité se déploie entre 1964 et 1968).

[8Quelques-uns de ces enregistrements récemment parus officiellement chez Sony et d’autres en bootlegs disponibles sur internet. Cf. Discographie et Site Internet à la fin de l’article.

[9Cf. Merlin & Rizzardi, 2009, pp. 121 et 272.

[10La Théorie de la Formativité Audiotactile propose un nouveau modèle taxinomique du système et des expériences musicales élaboré en fonction des implications perceptives/cognitives de ses déterminants anthropologiques et ses modalités de médiation culturelle. Avec ce modèle, Caporaletti formalise l’individuation de trois différentes réalités musicales par rapport aux facteurs de production/représentation de l’organisation culturale de la sphère sonore et de sa communication. À savoir, (1) les musiques de tradition écrites occidentales ; (2) les musiques de tradition orale ; et (3) les musiques audiotactiles, dont le rock, le jazz et les popular musics. Les fondements d’une telle théorie sont exhaustivement expliqués par Caporaletti, 2005 et 2014a. Pour un aperçu de la théorie, voir les sections concernées dans Caporaletti, 2008, en français, et Caporaletti, 2011, en anglais.

[11« Signifiyng, for Gates [Louis], is about the valorisation of figurative modes of expression that mark the “two discursive universes” of black and white. It is not so much a matter of what is said as of how it is said : “One does not signify something ; rather, one signifies in some way”. The transformation of the langage uses of the “white” discursive universe into the expressive modes of the “black” discursive universe underlie Gate’s notion of repetition with a signal difference. At the most general level, Gates uses the term signifying to mean any transformation that employs African American modes of figurative expression », Monson, 2006, p. 104.

[12Cf. Pareyson, 2007, et Caporaletti, 2014b, pp. 29-42.

[13La temporalité d’une performance enregistrée en concert, sans édition.

[14La temporalité d’une performance enregistrée et soumise à collages, montages, reprises.

[15Thibault, 2012, p. 117.

[16C’est-à-dire le caractère artistique qui oriente l’expérience esthétique consistant à établir et juger mutuellement la règle artistique interactionnelle dans la performance.

[17Caporaletti se réfère pour cela aux typologies de construction syntaxique des phrases issues de la linguistique : hypotatique et paratactique. Cf. infra.

[18Cf. Keil, 1987, pp. 275-283.

[19« D’altra parte abbiano l’effetto soggettivo o poietico de tele processo [de CNA], per cui i valori impostati dalla CNA sono, diciamo cosi assimilati dagli artisti, che li connettono ai modi di categorizzazione della musica e, di conseguenza, ai suoi criteri di produzione. In tal modo che la CNA inerisce stabilmente all’immagine estetica del genere considerato, rendendo attivi i meccanismi da essa promossi anche in un contesto puramente esecutivo ». Caporaletti, 2005, p.392.

[20Cf. Caporaletti, 2005, et Caporaletti, 2015.

[21Nous faisons référence aux niveaux poïétique, neutre et esthésique.

[22L’auditeur final, avec le disque, peut répéter l’événement musical enregistré.

[23Les musiciens, grâce à la bande magnétique, peuvent répéter l’événement musical enregistré.

[24« l’autenticità nella musica depositata su un disco come Bitches Brew, insomma, no ha che fare con la sua presunta fedeltà a un executione reale e “spontanea”, ma in primo luogo con il valore del progetto musicale, e con la premeditazione del compositore che può benissimo servirsi di nastro magnetico, forbici e colla, anziché di carta e penna ». Merlin & Rizzardi, 2009, p. 188.

[25Événements résultants de LIFs rassemblés.

[26Cugny, 1993, pp.78-79.

[27« The possibility to use the phonographic recording medium as a creative tool gives rise, in audiotactile music, to consequences of cognitive nature : these in fact also exist as a conceptual scheme in performances which are not recorded, as a cultural possibility informing the performers’ cognitive system. Such effects reverberate on their aesthetic image as distinctive features compared to the music of traditional/oral cultures, which are analogous under the profile of the audiotactile formativity ». Caporaletti, 2015, p. 240.

[28Ici, et pour les prochaines occurrences de ce terme, on fait référence à l’extemporisation de type audiotactile, soit le processus formatif qui est conduit par le PAT. En comparaison à l’improvisation, qui assume un caractère plutôt logocentrique, qui privilégie la réussite formelle du processus d’élaboration motivique de phrases etc., l’extemporisation se rapporte plutôt à ce qu’on désigne (de façon assez simplifiée) par accompagnement du soliste. L’extemporisation peut être exemplifiée par les procédures d’interactions polyphoniques et rythmiques entre la basse et la batterie pour rendre implicite la pulsation d’un morceau ; ou par l’abstraction des structures harmonico-mélodique qui sont conduites par le piano dans ce même contexte. Finalement, on peut entendre l’extemporisation comme le critère de variation de la référence métrique du groove. Cf. Caporaletti, 2005, pp. 104-115 et p. 387.

[29« Con le session registrate nell’agosto 1969, raccolte nel gia citato Bitches Brew , il percorso verso il pieno conseguimento della proiezione trascendente dei valori audiotattili raggiunge il proprio approdo, in cui è trasformato definitivamente il modo stesso di riferirsi alla musica. Davis, alla fini degli anni Sessanta, ha tratto il significato simbolico paritario e libertario dell’interazione sperimentata nel free jazz – in cui però avvertiva che la frequente assenza di pulsazione (meno frequente, però, di quanto comunemente si creda) non potesse cogliere una delle maggiori opportunità offerte dal contesto audiotattile – incocciandolo col groove profondamente communicativo che derivava dagli etimi specifici funk e rock ». Caporaletti, 2005, p. 429.

[30On se réfère à l’opposition médiologique visuel/audiotactile.

[31Cf. Merlin & Rizzardi, 2009, p. 206.

[32Le Grand Robert – Langue Française.

[33Ibid.

[34Jost, 2002, pp. 60-61 et 153.

[35Cotro, note de traduction in Jost, 2002, p. 60.

[36Cf. la ligne « montage » de la figure 3.

[37Dans l’Intro et le Thème de l’Exposition de « Bitches Brew », les musiciens les plus actifs sont Zawinul (elp), Corea (elp), DeJohnette (dm), Holland (b) et Davis (tpt). Shorter (ss), White (dm), Alias (perc) et Santos (perc) sont moins actifs mais bien présents. Ces trois derniers, rassemblés sur la même piste, avaient comme fonction de suivre DeJohnette. Donc, si on excepte la présence de Zawinul, la thèse de l’importance du Quintette pour la constitution et la reconnaissance du LIF dans « Bitches Brew » semble encore valide.

[38Cf. Merlin & Rizzardi, 2009, pp. 201-202.

[39Merlin et Rizzardi identifient deux phrases (Ibid.), une composée par A et B, et l’autre, la phrase C. Nous préférons distinguer les trois parties.

[40Communication personnelle avec l’auteur en 2015.

[41À Paris (2e concert), avant son solo de piano, Corea effectue un duo de batteries avec DeJohnette.

[42Cf. Sobordoni, 2014.




Auteur(s) - Autrice(s)


Fabiano Araújo Costa est professeur adjoint du Département de Théorie de l’Art et de la Musique à l’Université Fédérale du Espirito Santo (UFES/Brésil). Il est Doctorant en Musicologie à l’Université Paris-Sorbonne sous la direction du Laurent Cugny avec la collaboration de Vincenzo Caporaletti (Université de Macerata, Italie) dans le cadre d’un doctorat label-européen. Boursier de la Fondation Capes du Ministère de l’Éducation du Brésil (MEC), il travaille sur le sujet : « Interaction et formativité dans l’expérience esthétique des artistes du monde du jazz après le free et le modal ». Il a obtenu un Master en Musique à l’UFMG/Brésil sur l’analyse schönbergienne appliquée à la musique d’Hermeto Pascoal. Il a publié dans le domaine du jazz et de la musique populaire brésilienne, l’analyse et l’esthétique des musiques audiotactiles. Comme pianiste et compositeur il a publié notamment Rheomusi (2011), en trio avec Arild Andersen et Nana Vasconcelos.


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Davis, Miles, Miles Davis Quintet : Live in Copenhagen & Rome 1969, DVD, JazzShots 2869080, « Bitches Brew ».
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Davis, Miles, Miles Davis Quintet : Salle Pleyel, 2nd Concert, Paris, France, 3 novembre 1969, ORTF TV Broadcast. [en ligne] <https://youtu.be/zu3AKUxrcv0> le 25/07/2015.
Davis, Miles, Miles Davis Quintet Ronnie Scott Club, Londres, 2 novembre 1969, BBC-2 TV Broadcast, [em ligne] < https://youtu.be/5uW0SRgmxkY> le 25/07/2015.

Site Internet

Miles Davis Sessions : 1960-1969, [en ligne] <http://www.plosin.com/MilesAhead/Sessions.aspx?d=6> le 25/07/2015.



Pour citer l'article


Fabiano Araújo Costa : « Remarques sur l’expérience esthétique interactionnelle chez Miles Davis en 1969 : le projet de « Bitches Brew » et les concerts avec le 3e Quintette » , in Epistrophy - Jazz et Modernité / Jazz and Modernity.01, 2015 - ISSN : 2431-1235 - URL : https://www.epistrophy.fr/remarques-sur-l-experience.html // Mise en ligne le 9 octobre 2015 - Consulté le 26 mars 2024.