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Appel à contributions n°4 : Le jazz, la philosophie et les philosophes

 

Coordination : Joana Desplat-Roger, Thomas Horeau, Édouard Hubert




Ce nouveau numéro d’Epistrophy propose d’interroger le jazz à partir d’un prisme particulier : celui de la philosophie.

La philosophie est une discipline qui ne se caractérise pas tant par son objet, puisque celui-ci ne se restreint pas à un domaine spécifique, mais par la façon toute particulière dont elle conduit sa réflexion sur son objet. Adoptant une posture de soupçon à l’égard du langage en général, et de la terminologie de l’art en particulier (que signifie « jouer » de la musique ? Les musiciens « s’expriment »-ils dans leur art ?, etc.), la philosophie, tout au long de son histoire, a fait de la musique une question philosophique à part entière [1].

Concernant le jazz, la situation est plus complexe, car les philosophes du XXe siècle semblent avoir quelque peu « boudé » et ne se sont que peu intéressés à ce phénomène esthétique émergeant. Ce désamour de la philosophie à l’égard du jazz se mesure à deux niveaux : d’une part à la rareté des textes de philosophie consacrés au jazz [2], d’autre part à la dureté du traitement réservé au jazz dans les quelques textes philosophiques qui lui sont consacrés [3].

Mais comment comprendre alors ce quasi-silence de la philosophie et des philosophes sur le jazz ? Doit-on en conclure qu’il nous faut réserver la réflexion sur le jazz aux « études de jazz », traditionnellement marquées par une approche musicologique et/ou anthropologique ? La philosophie n’a-t-elle pas elle aussi un rôle à jouer dans les différents débats qui animent l’ensemble des jazz studies ? Et réciproquement, entreprendre une véritable réflexion sur le jazz ne permettrait-il pas à la philosophie de renouveler en profondeur ses schèmes esthétiques traditionnels ?

Ce sont ces différentes questions que ce numéro 4 d’Epistrophy se propose d’interroger, à partir des trois thématiques suivantes :

Les philosophes et le jazz : histoire d’un rendez-vous manqué

Hormis la célèbre critique adornienne du jazz, peu de philosophes du XXe siècle ont tenté l’aventure de se confronter au jazz. Et même lorsqu’elle a eu lieu, cette rencontre sonne comme un « rendez-vous manqué [4] ». En effet, si certains philosophes ont clairement témoigné de leur affection pour le jazz (par exemple Jean-Paul Sartre, ou encore Philippe Lacoue-Labarthe), leurs contributions sur le sujet sont malgré tout maigres et décevantes [5]. Plus étonnante encore, on peut rappeler la mésaventure vécue par Jacques Derrida, qui fut très largement hué (pour ne pas dire humilié) par le public alors qu’il avait été invité par Ornette Coleman à le rejoindre sur scène lors de son concert à la Cité de la musique le 1er juillet 1997. Alors que le saxophoniste avait oublié de présenter son invité au public (pensant sans doute qu’il était suffisamment connu en France pour ne pas avoir besoin de présentations), Derrida n’a jamais pu terminer de lire le texte qu’il avait écrit pour l’occasion (« Joue – le prénom [6] »), et dû subir l’affront de sortir de scène sous les cris, les sifflets et les injures du public.

Les propositions pourraient ainsi proposer une réflexion sur la signification de l’un ou l’ensemble des échecs philosophiques successifs – sans se restreindre à la célèbre critique adornienne, qui a d’ores et déjà donné lieu à un grand nombre de commentaires.

Des concepts philosophiques opérants pour penser le jazz

Ce qui intéresse ce numéro d’Epistrophy, ce n’est pas uniquement d’établir un constat d’échec de la philosophie du jazz, mais c’est aussi de réfléchir à ce qui peut être opérant dans les concepts philosophiques pour penser le jazz et ses problématiques. La notion de « jeu » chez Schiller, d’« expression » chez Hegel, de « mythe » chez Roland Barthes, de « structure » chez Lévi-Strauss, d’« aura » chez Benjamin, etc. : ces concepts philosophiques sont-ils complètement caducs et inefficaces pour penser le jazz ? Ou bien doivent-ils être réinvestis – quitte à en faire évoluer le sens – pour en cerner sa spécificité ?

Si l’échec des philosophes du XXe siècle à penser le jazz est indéniable, et si la spécificité de l’esthétique et de l’histoire du jazz invite sans aucun doute à réviser les appareils conceptuels de la modernité esthétique, les concepts philosophiques traditionnels n’ont sans doute pas encore livré toutes leurs promesses et doivent aujourd’hui être réinvestis pour permettre un éclairage nouveau sur la question du jazz.

La philosophie et les études de jazz : quel(s) dialogue(s) ?

Le présupposé de ce quatrième numéro de la revue Epistrophy est le suivant : un dialogue entre la philosophie et les études de jazz devrait être possible, et il est probablement nécessaire pour ne pas risquer d’isoler le jazz dans une « réserve » disciplinaire. Mais à quelles conditions pourrait avoir lieu ce dialogue ? Comment l’instaurer ? Et quelles modalités peut-il revêtir : dialogue conceptuel, à la croisée des champs disciplinaires, le philosophe s’emparant par exemple du savoir musico-anthropologique sur le jazz – ou l’inverse – pour nourrir davantage la réflexion sur l’objet ? Ou dialogue concret : un échange entre le philosophe et le spécialiste des études de jazz pourrait s’avérer extrêmement fructueux à bien des égards.

C’est à ce titre que nous invitons solennellement les musicologues, les anthropologues, les sociologues, et l’ensemble des disciplines concernées par le jazz à s’emparer de ce numéro d’Epistrophy pour confronter leur domaine de spécialité avec les philosophes et la philosophie – souhaitons alors que le dialogue puisse enfin s’ouvrir.


Modalités de soumission

La date limite de réception des propositions d’article est fixée au 01 septembre 2018. Elles doivent être adressées à l’adresse epistrophy@epistrophy.fr
Les propositions doivent comporter :

  • un titre
  • une proposition d’article d’environ 3000 signes
  • une bibliographie succincte
  • une courte bio-bibliographie de l’auteur.e

Le comité éditorial de la revue sélectionnera les propositions et en informera les auteurs au plus tard le 01 octobre 2018.
En cas d’acceptation de leur proposition, les auteurs s’engagent à envoyer leur article complet au plus tard le 01 janvier 2019 pour une publication du numéro en juin 2019.
Les articles seront évalués en double-aveugle par le comité de lecture.
Un comité scientifique exceptionnel sera réuni pour ce numéro, composé d’un relecteur issu du comité scientifique de la revue Epistrophy, et d’un philosophe qui sera choisi en fonction de la perspective de l’article.
Les articles attendus sont d’un format de 30 000 signes maximum (sans espaces, notes et bibliographies non comprises), peuvent comprendre des photos, de la musique et / ou des vidéos en fichiers séparés, selon les normes indiquées dans la charte.




Notes


[1En voici quelques exemples : Platon, La République, livres III, VII et X ; Rousseau, Dictionnaire de la musique (1767), Nietzsche, Le Gai savoir §372, Le cas Wagner (1888) ; Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation livre III ; Vladimir Jankélévitch, La musique et l’ineffable (1961)… Ou encore, plus récemment : Francis Wolff, Pourquoi la musique ? (2015) ; Bernard Sève, L’altération musicale (ou ce que la musique apprend au philosophe) (2002), Jean-Luc Nancy, A l’écoute (2002), Peter Szendy, Écoute : une histoire de nos oreilles (2001) et Membres fantômes : des corps musiciens (2002), etc.

[2Voilà ce qui constitue un premier motif d’étonnement : aucune mention du terme “jazz” dans des œuvres majeures de Bataille, Merleau-Ponty, Foucault, Deleuze, etc. Ces philosophes qui ont marqué le XXe siècle et qui sont contemporains de l’émergence du jazz, ne se sont intéressés ni à la dimension esthétique du jazz, ni à sa portée politique – alors même que cette dernière a donné lieu à des débats vifs dans les années 1960-1970 dans les milieux intellectuels français.

[3On pense bien sûr ici à la très célèbre critique adornienne du jazz (in « Abschied vom Jazz » de 1933, « Über jazz » de 1936, enfin « Mode intemporelle » de 1953). Le rapport d’Adorno avec le jazz a donné lieu à de nombreux commentaires, avec notamment en France le livre de Christian Béthune intitulé Adorno et le jazz : analyse d’un déni esthétique, Paris, Klincksieck, 2003.

[4Pour reprendre l’expression de Pierre Sauvanet dans son article « Jazz et philosophie en France », in La catastrophe apprivoisée. Regards sur le jazz en France, textes réunis par Vincent Cotro, Laurent Cugny et Philippe Gumplowicz, Outre mesure, coll. « Jazz en France », Paris, 2013, p. 161.

[5Comme en témoigne la fameuse et très commentée phrase de Jean-Paul Sartre : « La musique de jazz, c’est comme les bananes, ça se consomme sur place », in « Nick’s Bar, New York City », publié pour la première fois in America, cahiers de liaison culturelle France-Amérique-Latinité, n°5, numéro spécial « Jazz 47 », sous la direction de Pierre Seghers, Intercontinentale du Livre, mai 1947, p. 11. Le cas de Philippe Lacoue-Labarthe est différent, car si ses écrits sur le jazz sont tout à fait sérieux, il est quand même intéressant de noter qu’il n’a produit que très peu de textes sur ce sujet qui le touchait et l’habitait profondément (Voir le témoignage de Jean-Luc Nancy dans un entretien à paraître in Epistrophy n°4).

[6« La langue de l’autre », Ornette Coleman et Jacques Derrida, in Les Inrockuptibles n°115, du 20 août au 2 septembre 1997, p. 37-43.





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